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Rodéo — Elle était tout ce qu’ils n’étaient pas
26 Avr. 2019 @ 19 h 00 - 21 h 00
Depuis le 1er mars 2019, l’écrivaine bruxelloise Aïko Solovkine est en résidence d’écriture à Montréal dans le cadre du programme Échanges d’écrivains et de bédéistes entre le Québec et la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec le Conseil des arts et des lettres du Québec et en collaboration avec l’UNEQ.
Son premier roman, Rodéo, a obtenu le Prix de la première œuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2016. Aïko Solovkine est également l’auteure de plusieurs nouvelles ainsi que de deux pièces de théâtre.
À Montréal, elle travaille sur son prochain roman, Simba.
En se plongeant dans l’écriture de son premier roman, Aïko Solovkine exerçait le métier journaliste. Elle s’intéressait particulièrement aux faits divers et aux aspects les plus sombres de l’âme humaine. Rodéo est inspiré d’un fait vécu, un viol collectif perpétré par des hommes désœuvrés vivotant dans une région industrielle en déclin. La victime « était tout ce qu’ils n’étaient pas » : autonome, professionnelle, libre.
Simba poursuit sur la même voie, dans un paysage d’usines de métallurgie et de sidérurgie désaffectées.
Aïko Solovkine a d’ailleurs profité de sa résidence à Montréal pour effectuer une courte visite à Detroit, aux États-Unis, la grande ville industrielle la plus sinistrée du continent.
« Mon roman précédent ainsi que mon projet en cours puisent leur racines dans ces territoires peu valorisés des sphères urbaines que je saisis comme autant de ponctuations à la fois riches et bancales dans la partition réglée de la ville contemporaine », explique Aïko Solovkine. « C’est dans leurs interstices que mes protagonistes agissent, s’évadent, tentent de s’inventer un destin et refusent d’être relégués en bout de chaîne d’un système qui les broie. »
Le 26 avril 2019, de 19 h à 21 h,
à la Maison des écrivains (3492, avenue Laval, Montréal, H2X 3C8),
l’écrivaine Véronique Marcotte lira des extraits des romans Rodéo et Simba ainsi que de la nouvelle Ring d’Aïko Solovkine.
L’écrivaine en résidence répondra également aux questions de l’animateur de la soirée, le directeur des communications de l’UNEQ Jean-Sébastien Marsan.
Vins et croustilles seront servis.
Entrée libre !
Véronique Marcotte mène la double vie d’écrivaine et de metteure en scène depuis 1999. Elle a publié Dortoir des esseulés (1999), Les revolvers sont des choses qui arrivent (2005), Tout m’accuse (2008), Aime-moi (2011), Coïts (2013), Voix migrantes : naître ailleurs, vivre ici (2014) et De la confiture aux cochons (2017).
Extraits de la nouvelle Ring
Sa voiture est à l’arrêt sur le parking d’une cokerie, en niche à quatre portes rivée parmi d’autres au bitume mouillé. Il y dort tout habillé dans son sac de couchage, tordu sur la banquette arrière qui lui sert de lit. Un parking recyclé en dortoir pour intérimaires d’entreprises de sous-traitance qui les envoient transformer la houille en carburant. Dernières recrues à prix cassés avant le gong final. Aucun risque qu’elles ne se mettent en grève, celles-là. C’est ça ou rien et ce ça vaudra toujours mieux que rien. Importées depuis les confins de l’Europe, la liberté de circulation des capitaux et des personnes leur va bien au teint.
La phase à chaud est sous assistance respiratoire et aucun repreneur n’a été trouvé pour investir dans ses braises. On dit que les hauts-fourneaux, l’aciérie et la coulée continue sont condamnés, et la cokerie et le laminoir, en sursis. Quatre cents emplois sur un fil bientôt tranché, ceux qui le peuvent encore s’y agrafent par les dents tandis que le reste a déjà déserté le ring. Restructuration, délocalisation, ça flingue dans le dos, ça ne se montre même pas, cadeau du patronat. Petite nation, grandes industries, c’est ce qu’on leur a appris, un siècle durant, cent ans martelés d’or mais c’est fini. Plus de charbon sous le capot mais du noyau à l’écorce, pays noir malgré lui.
(…)
Plus de boulot, plus de maison, la prochaine étape, ce sera quoi, pas y penser, juste espérer. Que dans le coffre, Boss cent fois mordu, recousu, cassé, réparé et sur lequel il a tout misé, crève ce pitbull. Il s’allume une clope, énième bougie pour fêter la guerre en cours dans l’arène car en cas de défaite, la paix risque d’être trop longue. Encore quelques kilomètres de sursis, déroulés le long d’une piscine reconvertie en squat, d’un hôpital puis d’une salle de pompes sans toit. Centrale électrique, station-service, dépôt de trains, accélérer, partir d’ici, partir loin. Ça devrait être bon, là. Vas-y, arrête-toi.
Le cœur qui tape dans tout son corps. Un organisme réduit à un vaste battement. Il se gare sur le côté de la route et sort de la voiture, ses trois adversaires sur les talons. Ouvre le coffre et y braque une torche. Dans son faisceau, des lambeaux de chair, des bouts de cartilages et du sang. Deux chiens détruits, un mort et l’autre à peine vivant. C’est fini. Il tend ses clés au gagnant. Le carrosse est à lui et il s’installe derrière le volant. Avant qu’il ne démarre la voiture, Boss est porté hors de sa tombe et jeté sur le bitume. Sans fleurs ni adieux, déjà oublié.
Pour en savoir plus sur Aïko Solovkine
Une interview sur le roman Rodéo (16 juin 2016) — cliquez ici.