Pour se comprendre : parler le même langage (2)
Dans le premier article de cette série sur notre Lexique des termes usuels des contrats d’édition et reddition de comptes, nous avons vu, entre autres, qui détient les droits sur les livres publiés (auteurs et éditeurs), quels sont les différents modèles d’édition, ce qui advient des exemplaires imprimés, ce que signifie le prix d’un livre et qui le fixe.
Par Danièle Simpson
Connaître la signification des termes utilisés dans un contrat est certainement très utile, mais ce n’est en fait qu’un premier pas. Il faut aussi savoir ce que prévoient les lois qui encadrent les pratiques contractuelles entre auteurs et éditeurs pour être en mesure de mener une négociation fructueuse. La Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs S-32.01 sont celles qui nous intéressent le plus, la première parce qu’elle définit les droits de l’artiste sur son œuvre ainsi que les exceptions à ces droits en faveur des utilisateurs, et la seconde, parce qu’elle établit les obligations des diffuseurs à l’égard des artistes, et donc des éditeurs à l’égard des écrivains.
Auteur et droit d’auteur
L’auteur et son œuvre sont protégés par deux droits distincts qui composent le droit d’auteur : le droit moral, qui reconnaît au créateur la paternité de l’œuvre et le respect de son intégrité, et le droit patrimonial, qui confère à l’artiste le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute utilisation de son œuvre et lui permet d’exiger une rémunération pour son exploitation.
Il est important de préciser que, même si l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre, lorsqu’il cède par contrat ses droits à un producteur (dans le cas de l’écrivain, à un éditeur), celui-ci devient alors le titulaire du droit d’auteur. Toutefois, cette cession du droit d’auteur n’emporte pas la renonciation automatique au droit moral. Il faut également savoir, en ce qui a trait au droit moral, qu’il n’y a violation du droit à l’intégrité que si l’œuvre est, d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation de l’auteur, déformée, mutilée ou autrement modifiée, ou utilisée en liaison avec un produit, une cause, un service ou une institution.
La Loi sur le droit d’auteur prévoit que le droit d’auteur peut être cédé en totalité ou en partie. Voici ce qu’elle en dit :
Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection ; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.
Au Canada, le droit d’auteur sur une œuvre a une durée limitée à 50 ans après la mort de l’artiste. Une fois cette période terminée, l’œuvre appartient au domaine public et on peut la diffuser sans autorisation et sans payer de redevances. Il ne faut pas confondre cependant la durée du droit d’auteur et la durée d’un contrat même si certains éditeurs ont tendance à faire coïncider l’une et l’autre. Pour la durée d’un contrat, l’UNEQ recommande de 10 à 15 ans. Voir à ce sujet notre Guide de lecture et d’évaluation du contrat d’édition.
Pour protéger ses droits d’auteur, il y a plusieurs façons de procéder. On peut faire enregistrer le titre de son œuvre auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada sans envoyer de manuscrit. On peut également expédier une copie de son manuscrit à son nom et à son adresse personnelle par courrier recommandé (avec la poste canadienne seulement) et conserver le reçu de la poste. Lorsque l’on reçoit le paquet, on ne l’ouvre pas, mais on le range en lieu sûr comme preuve de sa propriété intellectuelle. Enfin, on peut aussi déposer son manuscrit à la SARTEC (Société des auteurs de radio, télévision et cinéma) au 1229, rue Panet, Montréal (QC) H2L 2Y6. Les frais pour le dépôt d’œuvres littéraires sont d’environ 20 $.
La négociation
Avant de signer le contrat d’édition qui les liera sur une longue période, l’auteur et l’éditeur doivent en négocier les termes. Ce n’est pas toujours facile, car il faut bien reconnaître que l’éditeur bénéficie au départ d’un certain avantage. S’il présente son contrat d’édition comme étant un contrat type et refuse toute négociation, il vaut mieux faire affaire avec un autre éditeur plus respectueux des auteurs et plus enclin à collaborer avec eux, car un tel contrat est dit « d’adhésion » et est illégal. Quoi qu’il en soit, l’auteur doit être bien préparé pour discuter avec son éditeur et doit aussi prévoir des solutions de rechange dans le cas où ses demandes sont refusées.
Pour guider les écrivains, l’UNEQ a mis en ligne une Méthodologie de négociation entre un auteur et un éditeur élaborée par Me Véronyque Roy, conseillère juridique à l’UNEQ, qui comprend une explication des méthodes de négociation et des attitudes à adopter, une description des attentes de l’éditeur et des conseils sur la façon de faire valoir son point de vue et d’obtenir les modifications demandées. Cette Méthodologie fait partie des formations de L’auteur autonome que vous trouverez sur le site de l’UNEQ. Jetez-y un coup d’œil : les conseils donnés sont valables pour la négociation de tous les types de contrats individuels de gré à gré.
Modèles d’édition
Le choix d’un modèle d’édition dépend du but poursuivi par l’écrivain et, dans les cas de l’autoédition et de l’édition à compte d’auteur, de ses moyens financiers. L’édition à compte d’éditeur est la forme d’édition traditionnelle où l’éditeur prend à son compte les frais de production et de diffusion du livre publié. Seules les maisons d’édition à compte d’éditeur sont éligibles à l’aide financière des gouvernements fédéral et provincial.
Les maisons d’édition qui se spécialisent dans la publication à compte d’auteur demandent à celui-ci d’assumer une part des frais encourus. Avant de s’engager, l’auteur doit donc s’assurer de bien comprendre les responsabilités auxquelles il s’engage. Le contrat de publication à compte d’auteur est différent du contrat à compte d’éditeur en ce sens que le taux de redevances consenties à l’auteur doit tenir compte de sa contribution au coût de production et de diffusion. De plus, la licence consentie à l’éditeur doit pouvoir être résiliée en tout temps. Il faut également que l’auteur soit conscient que la promotion et la distribution d’une œuvre publiée à compte d’auteur (ou autoéditée) peuvent s’avérer difficiles. Dans tous les cas, l’UNEQ acceptera de revoir l’entente proposée à l’auteur et d’éclairer son choix. D’autres outils sont également disponibles à ce sujet sur L’auteur autonome : Publier à compte d’auteur : 5 questions à se poser avant de commencer et Les plateformes numériques d’autoédition : états des lieux.
À la demande de ses membres, de plus en plus curieux de se renseigner sur l’autoédition, l’UNEQ a fait faire l’an dernier cette dernière étude d’une quarantaine de pages sur les plateformes numériques d’autoédition et les services qu’elles offraient. Ce secteur de l’édition est en très forte croissance, surtout aux États-Unis où le nombre de livres autoédités dépasse aujourd’hui celui des livres publiés par des éditeurs traditionnels. Le modèle d’affaires le plus courant offre gratuité de la production et services tarifés à la carte.
Plus de 60 % des membres de l’UNEQ interrogés dans le cadre d’un sondage réalisé en 2016 se sont dits intéressés par ce nouveau modèle d’édition. Nombre d’entre eux estiment qu’il leur permet de conserver un meilleur contrôle sur l’ensemble de l’œuvre, de toucher des droits d’auteur plus élevés que dans le circuit traditionnel et d’avoir accès à un plus vaste lectorat. Ils reconnaissent néanmoins que l’œuvre publiée risque de souffrir d’un manque de crédibilité parce qu’elle n’a pas été publiée par un éditeur reconnu. En conclusion, l’étude présente une douzaine de plateformes numériques d’autoédition classées selon les services offerts, différents cas de figures d’utilisation de ces plateformes et quelques mises en garde importantes. (Pour la consulter, cliquez ici.)
Un fil à la patte : le droit de préférence sur les œuvres futures
Qu’on l’appelle option, droit de préférence, de premier regard ou de premier refus, ce « droit », que de nombreux éditeurs incluent dans leurs contrats d’édition, exige de l’auteur qu’il donne en priorité à l’éditeur la possibilité d’acquérir une licence sur une ou plusieurs de ses œuvres futures. L’UNEQ estime que les auteurs ne devraient pas accepter une telle clause, ne sachant pas d’avance dans quelles conditions se déroulera leur relation avec l’éditeur ni dans quelle direction ils voudront éventuellement orienter leur carrière. Toutefois, s’ils n’arrivent pas à convaincre leur éditeur à renoncer à ce droit de préférence, ils devraient au moins le circonscrire autant que possible. Dans le Guide de lecture et d’évaluation du contrat d’édition réalisé par Me Véronyque Roy, l’UNEQ conseille de le restreindre « quant à la nature de l’œuvre, quant à la durée de l’option et quant aux modalités contractuelles. »
Par ailleurs, la Loi sur le statut de l’artiste 32.01 définit ainsi les conditions dans lesquelles doit s’appliquer cette disposition :
Toute entente entre un diffuseur et un artiste réservant au diffuseur l’exclusivité d’une œuvre future de l’artiste ou lui reconnaissant le droit de décider de sa diffusion doit (…) :
1° porter sur une oeuvre définie au moins quant à sa nature ;
2° être résiliable à la demande de l’artiste à l’expiration d’un délai d’une durée convenue entre les parties ou après la création d’un nombre d’œuvres déterminées par celles-ci ;
3° prévoir que l’exclusivité cesse de s’appliquer à l’égard d’une oeuvre réservée lorsque, après l’expiration d’un délai de réflexion, le diffuseur, bien que mis en demeure, n’en fait pas la diffusion ;
4° indiquer le délai de réflexion convenu entre les parties pour l’application du paragraphe 3°.
En ce qui concerne le délai de réflexion, l’UNEQ recommande de le limiter à trois mois.
Les exemplaires sans redevances
Le Lexique donne plusieurs exemples d’exemplaires sans redevances : les exemplaires de passe, distribués gratuitement pour favoriser la diffusion ou s’acquitter de diverses obligations, les exemplaires de presse, remis gratuitement aux médias, les exemplaires hors droits, les exemplaires abîmés ou détruits, et les exemplaires « autres », une catégorie d’ouvrages dont on ne précise pas les modalités de vente (et qu’il est en fait préférable de ne pas retrouver dans les rapports de vente…). Idéalement, il devrait y avoir moins de 10 % des exemplaires d’un tirage envoyés à des services de presse, et moins de 10 % d’exemplaires abîmés ou détruits. Une quantité de 10 % serait toutefois acceptable, mais l’auteur devrait éviter que ce nombre soit illimité.
De précieuses ressources
La plateforme L’auteur autonome propose plusieurs formations et outils de perfectionnement professionnels (documents, vidéos, questionnaires, etc.) sur divers aspects du métier d’écrivain. Elle s’adresse aux écrivains de la relève, aux écrivains professionnels et à tous ceux qui ont besoin d’informations sur le milieu du livre et le métier d’écrivain.
Son catalogue comprend 11 cours sur les aspects juridiques et légaux du métier d’écrivain, 5 cours sur le milieu du livre (notions générales), 7 cours sur la promotion d’une oeuvre littéraire et les activités connexes au métier d’écrivain et 10 cours de bureautique sur les programmes de Microsoft Office 2010 et 2013 : Word, Excel, Outlook, PowerPoint, Access et Windows 8.
Le Guide de lecture et d’évaluation du contrat d’édition, que vous trouverez parmi les cours de L’auteur autonome, a pour objectif d’identifier les principaux points à considérer avant de signer un contrat d’édition : nature du contrat, rémunération de l’écrivain, œuvres futures, résiliation du contrat d’édition et invendus. Suivent, à la fin de chaque bloc d’informations, les versions idéale, acceptable et à éviter des clauses analysées. À l’aide du Guide, l’écrivain peut se faire une opinion sur la qualité du contrat qu’on lui propose et établir une hiérarchie dans ses demandes, les versions acceptables pouvant servir de Plan B…
Autre source d’informations : le chapitre III de la Loi sur le statut de l’artiste 32.01 qui traite des contrats entre artistes et diffuseurs. On détermine dans ce chapitre ce que ces contrats doivent identifier clairement et on établit les obligations des diffuseurs à l’égard des artistes. Toutefois, l’article 36 pose problème parce qu’il stipule qu’en cas de faillite du diffuseur (entendre, en ce qui concerne les écrivains, l’éditeur), le contrat qui le lie à l’artiste est résilié. Or, il semble que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, qui est de juridiction fédérale, aurait préséance sur la loi provinciale et ne permettrait pas dans le cas du livre que les écrivains reprennent leurs droits. Les juristes ne sont pas tous d’accord sur cette interprétation, mais les tribunaux n’ont pas encore tranché le différend.
Dans le prochain article, qui sera publié le 25 mai, nous verrons comment le Lexique définit les termes en lien avec les pratiques contractuelles. Il s’agit d’une étape importante dans la compréhension des engagements pris au moment de la signature du contrat, engagements dont il est très difficile de se retirer plus tard à moins qu’il n’y ait eu abus de la part de l’éditeur. En attendant, n’hésitez pas à bénéficier des formations offertes par L’auteur autonome !
Tous les articles de cette série : — 1 — 2 — 3 — 4 — 5 — 6 — 7 — 8 —.
Le Lexique des termes usuels des contrats d’édition et reddition de comptes (PDF)
Le communiqué de presse sur le Lexique