Essais et livres pratiques : comment investir les médias ?
Par Jean-Sébastien Marsan et Marie-Andrée Boivin, directeur des communications et chargée de communications à l’UNEQ
Les romanciers et les poètes peuvent aiguiser leur plume et se faire connaître en collaborant aux revues littéraires. Pour les auteurs d’essais et de livres pratiques, la meilleure tribune demeure celle des médias généralistes ou spécialisés. Mais comment troquer le chapeau d’écrivain pour celui de journaliste, solliciter des rédacteurs en chef pour leur proposer une expertise d’auteur et s’appuyer sur les médias pour développer une carrière d’écrivain ?
Voici quelques conseils d’un duo d’ex-journalistes (les auteurs de ces lignes ont jadis roulé leur bosse dans les médias écrits et électroniques), illustrés par les témoignages de deux essayistes qui évoluent dans les médias comme des poissons dans l’eau : Stéphane Berthomet et Normand Baillargeon.
Ce qui intéresse les médias
En 2016, les médias québécois ont essentiellement consacré leurs pages ou leur temps d’antenne à la politique régionale, provinciale et nationale (plus de 19 % des contenus), aux sports (plus de 17 % des contenus), aux faits divers et aux affaires judiciaires (plus de 13 %), aux nouvelles locales (9,8 %), à la cuisine (6 %), à l’économie et au monde des affaires (5,9 %), aux technologies (un peu plus de 5 %), à l’international (4,8 % ) et à la culture (3,9 %), selon un relevé de la firme Influence Communication.
L’environnement, la santé, l’éducation, le Canada anglais, les sciences, les affaires autochtones et tant d’autres enjeux ont dû se contenter de miettes d’espace médiatique ; les livres publiés sur ces sujets, de micro-miettes.
Vous avez écrit un essai ou un livre pratique sur l’une ou l’autre des thématiques préférées des médias et vous souhaitez leur proposer une collaboration ? Avant toute chose, évitez de marcher sur les plates-bandes des journalistes salariés affectés à l’information quotidienne, jaloux de leurs prérogatives. Concentrez vos efforts sur les émissions d’affaires publiques, les magazines, les revues et autres publications spécialisées qui comptent essentiellement sur des collaborateurs externes pour fournir du contenu. Collaborateurs que l’on assimile souvent à des « spécialistes », ce qui est à votre avantage.
Les chasses gardées des journalistes
L’actualité politique demeure un bastion de journalistes salariés. Seuls quelques chroniqueurs politiques ont le loisir de travailler à la pige dans les médias. Chantal Hébert par exemple, qui collabore au Toronto Star, au magazine L’actualité, à des émissions de Radio-Canada, et qui a signé quelques ouvrages.
Les auteurs d’essais politiques se font rares dans les médias québécois, outre une poignée d’intellectuels comme Alain Deneault — auteur d’une douzaine de titres sur les paradis fiscaux, l’industrie minière, la gouvernance, les politiques économiques et la « médiocratie ».
Un autre cas d’espèce : l’universitaire Élisabeth Vallet, auteure de plusieurs essais sur la politique et les élections américaines, qui intervient régulièrement à Radio-Canada. (Son intérêt pour la littérature l’a également amenée à réaliser des recensions de romans à l’émission Plus on est de fous, plus on lit !)
En ce qui concerne les secteurs de l’éducation et de la santé, étroitement liés à l’univers de la politique, les journalistes salariés se chargent de l’actualité quotidienne et des experts sont consultés au besoin pour des analyses.
Les médias accordent parfois de l’intérêt aux essais et témoignages signés par des professionnels de l’éducation et de la santé (enseignants, médecins et autres) capables de vulgariser et d’humaniser les enjeux. Un bon exemple : le médecin Alain Vadeboncoeur, après avoir fait ses premiers pas dans l’essai en 2012 avec Privé de soins : contre la régression tranquille en santé (Lux), est devenu un habitué à Radio-Canada et à Télé-Québec.
L’essayiste Normand Baillargeon, pour sa part, est une figure connue des Québécois grâce à ses ouvrages sur l’éducation, ses chroniques dans Le Devoir et à la radio de Radio-Canada — voyez notre entrevue.
Il n’existe dans la province qu’un seul magazine grand public qui traite régulièrement d’actualité politique, L’actualité, une publication très sollicitée. Mais des revues sans but lucratif ouvrent également leurs pages à des collaborateurs spécialisés dans les enjeux politiques : À bâbord ! (six numéros par année), Relations (six numéros par an), Liberté (quatre numéros par année), L’inconvénient (quatre numéros par an) ou Argument (publiée deux fois l’an).
L’actualité sportive reste l’apanage des journalistes salariés et des agences de presse. Les spécialistes invités à commenter l’actualité sont généralement des chroniqueurs maison ou d’ex-athlètes.
Les auteurs qui souhaitent valoriser leur point de vue d’expert sur les sports, le plein air ou les loisirs doivent se tourner vers les publications spécialisées : les magazines Espaces, Vélo Mag, Sentier Chasse-Pêche, entre autres, où des pigistes signent la plupart des textes.
Une poignée de commentateurs ont réussi à s’imposer dans le créneau de l’actualité judiciaire, par exemple Stéphane Berthomet, ex-policier affecté à la lutte antiterroriste, auteur de La fabrique du djihad : radicalisation et terrorisme au Canada (Édito, 2015) et Enquête sur la police (VLB éditeur, 2013) — voyez notre entrevue avec cet auteur.
Les médias destinés aux professionnels du droit, Le Journal du Barreau ou Droit-inc, accorderont de l’intérêt à l’auteur d’un essai ou d’un livre pratique sur le système de justice ou d’une biographie à saveur judiciaire.
La cuisine, le mieux-être et la culture
L’an dernier, la cuisine a occupé davantage d’espace médiatique que l’économie, l’international ou la culture, rapporte Influence Communication. Les éditeurs québécois publient une quantité impressionnante de livres de recettes de cuisine et, dans le même genre, de recettes de santé, de mieux-être, de développement personnel, etc. Ces nouveaux auteurs devraient, en principe, intéresser les médias.
Mais sur le terrain, les auteurs se bousculent. La concurrence fait rage, il est très difficile de se tailler une place au soleil devant les machines promotionnelles bien rodées d’auteurs tels que Ricardo Larrivée. Celui que tout le monde appelle familièrement Ricardo, faut-il le rappeler, utilise à fond toutes les plateformes : livres, magazine, web, émissions télévisées en français et en anglais, et il possède une maison de production, une quincaillerie de cuisine qui porte son nom et même une sélection de vins d’Afrique du Sud !
Dans la même veine, la nutritionniste Isabelle Huot jouit d’une forte visibilité grâce à une dizaine d’ouvrages, à ses chroniques à la radio, à la télévision et dans les médias écrits, à un réseau de cliniques de nutrition, à une gamme de plats prêts à manger, sans oublier son rôle de porte-parole d’organisations telles que Moisson Montréal, le Club des petits déjeuners et l’Association des producteurs maraîchers du Québec.
La culture est aussi encombrée que l’univers de la cuisine et autres livres de recettes. L’auteur d’un essai sur le cinéma ou sur le théâtre parviendra difficilement à solliciter les médias de masse et leur proposer des topos dans un créneau où s’agitent quantité de journalistes pigistes, de chroniqueurs, de critiques, de blogueurs… et les artistes eux-mêmes, toujours avides de visibilité.
Le Québec ne manque heureusement pas de revues culturelles spécialisées, sur une foule de disciplines : la littérature, le cinéma, le théâtre, la danse, les arts visuels, etc., où les écrivains obtiennent une meilleure tribune. (Pour en savoir plus sur ces revues, consultez notre liste et le site web de la Société de développement des périodiques culturels québécois.)
Des médias spécialisés à prospecter
Les médias spécialisés dans l’économie, les affaires, les sciences et les technologies ne parviennent pas aisément à recruter des collaborateurs pigistes compétents, capables de réaliser des topos consistants sur des sujets techniques. On ne peut pas s’improviser chroniqueur en astrophysique ou en fiscalité des PME… Les auteurs d’ouvrages sur l’immobilier, les assurances, les finances personnelles, l’informatique, les télécommunications, les sciences, etc., lorsqu’ils démontrent des talents de vulgarisateur, peuvent obtenir de la visibilité dans ces médias.
Le créneau des nouvelles locales n’est pas à dédaigner pour les écrivains qui publient un livre susceptible d’intéresser un milieu de vie en particulier, car tout rédacteur en chef d’un média local sera sensible aux propositions qui collent à la communauté desservie par son média. Un auteur qui lance un ouvrage sur l’histoire d’une municipalité, par exemple, pourra proposer au journal du coin de publier quelques articles tirés de son livre.
Dans le même ordre d’idées, les médias alternatifs et communautaires permettent de rejoindre un public ciblé. Un exemple : Radio Centre-Ville 102,3 FM, à Montréal, a pour mandat d’assurer la participation et l’intégration des immigrants, le dialogue interculturel, etc.; un média tout indiqué pour l’auteur d’un livre sur l’immigration ou sur les communautés culturelles montréalaises.
Comment séduire un rédac-chef
Avant d’entrer en contact avec un média, il faut apprivoiser son contenu, son marché et surtout son chef d’orchestre, le rédacteur en chef.
Individu qui semble constamment débordé, toujours sur la brèche (tout est « pour hier ») et apparemment inaccessible, un rédacteur en chef demeure pourtant à l’affut d’idées neuves. Ou, du moins, de regards neufs sur des sujets éculés — lorsqu’il faut trouver une nouvelle manière de ressusciter une thématique telle que « Déjà décembre, le temps des Fêtes arrive à grands pas »…
Vous souhaitez écrire dans un journal ou un périodique ? Consultez les numéros publiés au cours des dernières années, relevez les thématiques les plus souvent abordées par la publication et celles qui semblent négligées, puis élaborez un sujet d’article original.
Rédigez un synopsis, court texte (deux ou trois paragraphes maximum) qui décrit avec autant de précision que de concision votre sujet d’article et son angle de traitement, en soulignant à grands traits que vous venez de publier un livre sur ce sujet et que vous êtes un — insistez sur ce mot — spécialiste. Ajoutez-y un résumé bio-bibliographique de votre personne, puis faites parvenir le tout par courriel au rédacteur en chef.
Petite parenthèse sur le synopsis. Un sujet d’article est un tout, son angle de traitement se concentre sur un seul aspect du tout, et cet angle doit viser un public en particulier. Par exemple, « la viande » est un sujet. « La viande que vous croyez biologique est bourrée de produits chimiques » est un angle (son public-cible : les consommateurs de viande bio), « la consommation de viande en Nouvelle-France » en est un autre (destiné aux amateurs d’histoire). N’abordez pas un rédac-chef en indiquant simplement : « Je viens d’écrire un livre sur la viande et je veux vous proposer un article sur ce sujet », ce sera un coup d’épée dans l’eau. Fin de la parenthèse.
À la réception de votre synopsis, le rédacteur en chef se montre disponible et de bonne humeur ? Bonne nouvelle, il vous accordera quelques minutes de son précieux temps. S’il se révèle inaccessible et/ou grognon, attendez quelques jours et revenez à la charge.
Lorsqu’un rédacteur en chef donne son aval pour la rédaction d’un article, il faut discuter avec lui de ses exigences, des subtilités de l’angle de traitement, des particularités de son média, etc., pour se mettre sur la même longueur d’ondes et ne pas le décevoir à la livraison du topo. Une première collaboration, ça passe ou ça casse ! Si le rédacteur en chef juge que votre première collaboration relève du ratage le plus complet, il ne voudra plus jamais travailler avec vous. Et il racontera sa mésaventure à ses collègues, ce qui vous fermera des portes.
Ne misez pas sur un encadrement de la part des rédacteurs en chef. Ils n’ont pas le temps de prendre un pigiste par la main, de superviser son travail. Le rêve de tout rédac-chef, c’est d’obtenir un résultat clé en main, livré à la date de tombée, qui ne nécessite aucune vérification, ni correction. Un collaborateur pigiste doit toujours faire preuve d’une grande autonomie.
Vous souhaitez devenir chroniqueur à la télé ou à la radio ? Vous avez peut-être remarqué que l’information continue s’appuie sur de nombreux experts pour commenter la nouvelle de l’heure, à chaud. Les émissions du matin constituent un bon exemple de ce temps d’antenne consacré aux nouvelles du jour et commentées par un comédien, un ex-politicien, une ex-championne olympique… ou un écrivain, autant de rendez-vous réguliers avec les auditeurs ou les téléspectateurs. L’avantage pour le média : un commentateur expert coûte beaucoup moins cher qu’un journaliste. Le désavantage : le commentateur expert n’est pas toujours disponible au pied levé.
Pour vous faire remarquer, approchez ces médias un peu avant l’été. Dans l’univers des médias électroniques, la période estivale représente, au pire, une pénible traversée du désert pendant laquelle les journalistes peinent à remplir le temps d’antenne, au mieux une fabuleuse période d’expérimentation de nouvelles formules, de nouvelles têtes et de nouvelles voix. Profitez ainsi de l’été pour élaborer une série de chroniques sur un sujet que vous possédez bien. Adressez-vous au réalisateur de l’émission dont vous convoitez le micro ou la caméra, sondez son intérêt, et soyez ouvert à des propositions de formats. (Les conseils pour la presse écrite valent tout autant ici : lorsque vous contactez un réalisateur, soyez sûr de connaître son émission, son ton, ses sujets de prédilection, etc.)
Tarifs et contrats
Dans les médias écrits, les textes sont généralement payés au feuillet (un feuillet = 1 500 caractères, espaces compris, ou environ 250 mots) et les tarifs varient. Plusieurs médias sans but lucratif reposent sur le bénévolat, d’autres peuvent offrir quelques dizaines de dollars le feuillet pour une première collaboration. Avec les médias à but lucratif, exigez au moins 100 dollars le feuillet.
Il est évidemment difficile de négocier un tarif lors d’une première publication. Si vous collaborez régulièrement à un média, jusqu’à devenir « indispensable » (si l’on vous sert ce compliment, réjouissez-vous !), le rapport de force penchera en votre faveur.
De manière générale, les médias électroniques refusent malheureusement de verser un cachet à un auteur lorsqu’il traite en ondes d’un sujet qui concerne directement son livre récemment paru, car sa collaboration sera considérée comme une activité de promotion. En revanche, une collaboration régulière sur des sujets d’actualité sera rémunérée.
En terminant, un conseil syndical.
Dans l’univers des médias, il n’est pas obligatoire de signer un contrat pour une collaboration à la pige. On vous propose un contrat ? Comparez son contenu avec « Les dix principes d’un contrat équitable » selon l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).
Des contrats qui circulent actuellement dans nombre de médias dépouillent les journalistes de leurs droits élémentaires en leur imposant des cessions unilatérales : on leur demande de céder tous leurs droits d’auteurs et même leurs droits moraux, pour le monde entier, à vie ! Ce qui permet aux médias de réutiliser le travail de leurs collaborateurs sur plusieurs plateformes et à toutes les sauces, sans les rémunérer. Ces contrats sont parfois illégaux à leur face même, car ils contreviennent au Code civil du Québec (pour mémoire, un contrat non négociable entre un travailleur autonome et son donneur d’ouvrage n’a aucune valeur légale).
Si vous ne signez aucun contrat, vous bénéficiez des protections — par défaut — prévues par la Loi sur le droit d’auteur, le Code civil, etc., vous conservez vos droits d’auteurs et vos droits moraux : « En l’absence d’une entente énumérant clairement les droits concédés, le journaliste indépendant est réputé n’avoir concédé qu’un droit de première publication », rappelle l’AJIQ.
Dans le même dossier :
- Entrevue avec Stéphane Berthomet, essayiste et analyste
- Entrevue avec Normand Baillargeon, essayiste et chroniqueur