Disparition d’Arts et lettres
Libre opinion – Disparition d’Arts et lettres: un flou artistique?
Paru dans le journal Le Devoir | 19 juin 2013 |
Diane Boudreau, Patrick Moreau, Danièle Simpson – Union des écrivaines et des écrivains québécois
Commençons par l’intitulé du programme. Pourquoi remplacer Arts et lettres par Culture et communication ? Pas pour clarifier le contenu, assurément, puisque, précise-t-on : « Le terme culture est utilisé à la fois dans son sens traditionnel, qui se rapporte aux arts et aux lettres, et dans son sens large, c’est-à-dire les éléments de culture et de civilisation qui caractérisent des sociétés. Quant au terme communication, il vient rappeler que les arts, les lettres et les langues s’inscrivent dans un processus de communication. »
Voilà où le bât blesse : subordonner la littérature au processus de communication, c’est lui retirer sa spécificité et la mettre sur un pied d’égalité avec les autres processus de communication quels qu’ils soient. On peut imaginer les conséquences de cette dérive sur l’enseignement de la littérature, d’autant plus que les oeuvres littéraires sont devenues des « objets culturels », une catégorie qui comprend « une oeuvre, une production, un phénomène ou un élément de culture et de civilisation ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette définition englobe beaucoup d’aspects. Souhaite-t-on voir les romans d’Anne Hébert ou les poèmes de Gaston Miron côtoyer les publicités de pâte dentifrice, les discours politiques et les messages de 140 caractères sur Twitter ?
Cette indétermination généralisée fait reposer la valeur du profil de littérature sur des décisions locales, car ce sont les départements de français qui devront concrétiser dans leurs plans-cadres l’énoncé des compétences à atteindre. Le danger, c’est que pour attirer la « clientèle », on élabore des contenus soi-disant attractifs, mais peu susceptibles de transmettre un patrimoine littéraire commun.
Car nulle part dans le profil de littérature on ne mentionne l’importance ni même l’existence d’un tel patrimoine. On parle de la nécessité « d’expliquer des enjeux culturels nationaux », mais les éléments de cette compétence laissent songeur. Le premier est particulièrement nébuleux : « reconnaître des héritages à la culture nationale actuelle ». De quelle culture s’agit-il ? De la culture au sens traditionnel ou au sens large ? Et comment la culture actuelle pourrait-elle déjà avoir un héritage ? Mystère… Le second élément, lui, relève davantage des sciences humaines que de la littérature. On exige de l’élève qu’il définisse « l’influence d’acteurs culturels » en faisant une « comparaison appropriée des interventions de l’État ». Puis, on lui demande de cerner la « décomposition pertinente de la dynamique d’influence dans la production culturelle », sans trop s’inquiéter qu’il comprenne ou non le sens de cette phrase…
À défaut de pouvoir se référer à sa propre littérature, l’élève devra « apprécier la diversité culturelle contemporaine » et « comparer des objets culturels d’ici et d’ailleurs ». Sur quelle base, nul ne sait, car les objectifs spécifiques à la formation littéraire ne visent que l’apprentissage du « langage propre » au domaine, l’« exploitation des techniques dans une perspective de création » et la réalisation d’un « projet de création ».
Mais, en définitive, doit-on se surprendre du flou artistique du devis quand les visées de la formation collégiale nous apprennent que « les buts du programme » sont que l’étudiant mette « en valeur sa culture personnelle » de manière à porter « un regard sur lui-même » et à exprimer « sa vision du monde et de son identité » ? Cet accent mis sur le subjectivisme s’accorde assez peu avec la transmission d’un patrimoine littéraire, un objectif que l’UNEQ considère comme primordial et négligé par le nouveau programme. Espérons toutefois que les professeurs de français sauront remédier à cette lacune.
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