Mot de la présidente — 14 décembre 2022
Bref retour dans le passé pour mieux comprendre le présent
Le premier geste des écrivaines et des écrivains québécois pour protéger leurs droits a été de fonder l’UNEQ en 1977, il y a 45 ans. Les objectifs de départ sont restés les mêmes aujourd’hui : représenter les écrivain·e·s, défendre leurs intérêts professionnels, moraux et économiques, et plus globalement travailler à la valorisation et à l’épanouissement de la littérature québécoise.
Depuis lors, l’UNEQ n’a cessé de se battre pour obtenir une loi sur le statut de l’artiste juste et équitable qui nous permettrait de négocier des ententes collectives encadrant les conditions minimales de pratique du métier d’écrivain·e, au même titre que les autres artistes.
Cette lutte semblait perdue d’avance, mais l’UNEQ a repris le flambeau il y a quatre ans et a mené une campagne tambour battant pour obtenir justice, ralliant un grand nombre d’autrices et d’auteurs ainsi que d’autres associations d’artistes.
Malgré tous les obstacles, l’UNEQ a eu gain de cause. Une nouvelle loi sur le statut de l’artiste a été adoptée le 3 juin 2022, propulsant notre syndicat dans une nouvelle ère. C’est une immense victoire, aussi inespérée qu’attendue. Et cette victoire implique de grands changements.
Un nouveau paradigme
L’UNEQ a toujours été un syndicat selon ses lettres patentes et a obtenu en 1991 une reconnaissance du Tribunal administratif du travail pour représenter « tous les artistes professionnels œuvrant dans le domaine de la littérature au Québec ». Aujourd’hui, la nouvelle loi sur le statut de l’artiste lui donne les outils pour agir véritablement en tant que tel.
La Loi S32.1 est une loi d’exception sur le travail. Elle régit les relations de travail entre les différents artistes et leurs producteurs, éditeurs ou diffuseurs. Bien que les artistes demeurent des travailleurs autonomes, la Loi leur apporte un cadre comme le fait la Loi sur les normes du travail pour les salariés.
Voici en bref ce que cette loi nous permet d’accomplir, et les obligations qu’elle nous confère :
- Le pouvoir pour l’UNEQ de négocier des ententes collectives fixant des normes et conditions minimales de travail avec tous les éditeurs et avec d’autres partenaires de la chaîne du livre, tels les salons du livre et festivals littéraires, les librairies, les bibliothèques, etc.
- L’accès élargi au Tribunal administratif du travail pour d’éventuels recours.
- Le devoir de représenter toutes les écrivaines et écrivains, et tous les artistes du domaine de la littérature (traductrices et traducteurs, illustratrices et illustrateurs), qu’elles ou ils soient membres ou non de notre Union.
Il est important de souligner ici que la loi n’oblige pas les éditeurs et producteurs à se regrouper dans une seule association représentative, alors que l’UNEQ doit représenter toutes les écrivaines et écrivains, membres ou non de notre Union. Cela signifie que l’UNEQ doit entreprendre de multiples négociations avec différents regroupements d’éditeurs et de producteurs. C’est un chantier colossal, qui implique des coûts importants tant sur le plan financier que sur celui des ressources humaines.
Or, les moyens financiers de l’UNEQ sont limités. Les subventions que nous recevons servent à soutenir nos activités littéraires ainsi que les salaires de l’équipe permanente, et non pas les négociations d’ententes collectives.
D’où la nécessité pour notre Union d’adapter son financement à cette nouvelle réalité afin de soutenir sa mission syndicale et sa survie.
L’assemblée générale annuelle des membres du 20 juin 2022 a voté une résolution relative à la mise en place de cotisations syndicales sur les revenus de 2,5 % pour les membres et de 5 % pour les non-membres.
Nous n’avons pas tiré ces cotisations de 2,5 % et 5 % d’un chapeau de magicien.
- D’abord, la loi sur le statut de l’artiste prévoit pour les associations d’artistes la possibilité d’établir de telles cotisations afin de les soutenir dans leurs négociations. Elle prévoit que celles-ci peuvent être prélevées dès l’envoi de l’avis de négociation si les parties s’entendent.
- Ensuite, nous nous sommes appuyés sur les normes qui existent dans la grande majorité des syndicats d’artistes au Québec : l’Union des artistes (UDA), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ), etc.
Vrai ou faux
Récemment, de nombreuses rumeurs et faussetés ont circulé sur les réseaux sociaux concernant les cotisations syndicales :
- Le 2,5 % et le 5 % seraient prélevés à même le 10 % de redevances, avec pour résultat que l’écrivain·e ne recevrait plus que 7,5 % ou 5 % de ses redevances : FAUX. Ces pourcentages s’appliquent aux revenus des écrivain·e·s. Autrement dit, sur 100 $ payés par son producteur ou éditeur, l’écrivain·e verserait 2,50 $. Toutes ces cotisations sont admissibles aux déductions fiscales.
- C’est la partie patronale qui paie les cotisations syndicales : FAUX. Ce sont toujours les artistes, comme les salariés, qui paient ces cotisations. C’est normal, puisqu’elles servent à soutenir les négociations d’ententes collectives et la bonne exécution de celles-ci. En revanche, le filet social (contribution à un RÉER, par exemple) est assumé par la partie patronale et fait partie intégrante de la négociation.
- Les cotisations syndicales toucheront également le prêt public, les bourses et les prix reçues par l’écrivain·e : FAUX. Le DPP (compensation pour les prêts de livres en bibliothèque), les bourses et les prix (reconnaissance du travail de l’écrivain·e) ne feront pas l’objet de cotisations syndicales. En clair, il n’y aura paiement de cotisations que dans les situations où une entente collective est en place ou en cours de négociations avec des représentants des éditeurs, producteurs ou diffuseurs.
- L’UNEQ n’a pas le droit d’imposer les cotisations syndicales à toutes les autrices et auteurs, qu’elles ou ils soient membres ou non de l’association : FAUX. C’est le code du travail qui prévoit cette disposition, mieux connue sous le nom de « Formule Rand » du nom du juge Rand qui siégeait à la Cour suprême et qui a introduit la cotisation à la source obligatoire. Partant du principe que toute personne travaillant dans un secteur syndiqué bénéficiera des avancées socioéconomiques, et que le syndicat aura l’obligation de représenter l’ensemble des travailleuses et travailleurs, la cotisation doit être payée par tous. C’est la Loi !
Les ententes collectives, « qu’ossa donne ? »
Outre des cachets et une répartition des redevances équitables, les ententes collectives encadreront la durée des licences d’édition et d’exploitation d’une œuvre, les recours en cas de litige (médiation, arbitrage), des modalités de résiliation raisonnables, et tant d’autres mesures qui assureront à toutes les écrivaines et écrivains des clauses minimales décentes et structurantes.
Nous avançons dans une terra incognita, car, à notre connaissance, il n’existe aucune entente collective globale pour les écrivain·e·s dans le monde. Nous nous inspirons bien sûr des meilleures pratiques existantes dans les contrats d’édition, mais nous tentons également de faire preuve de créativité pour trouver des solutions à la fois novatrices et praticables.
L’énorme défi de rejoindre les écrivain·e·s
L’UNEQ mène régulièrement des campagnes pour informer les écrivain·e·s, mais aussi le grand public, sur les enjeux entourant notre mission syndicale. Nous avons également organisé de nombreuses réunions pour les autrices et les auteurs, dont certaines étaient ouvertes aux non-membres. Nous diffusons notre infolettre chaque semaine, sauf exceptions, et j’écris régulièrement un Mot de la présidente afin de faire le point sur nos dossiers.
Mais le problème, et il est de taille, est que beaucoup d’autrices et d’auteurs ne lisent pas nos publications et ne participent pas à nos rencontres, ce qui crée un terrain fertile pour les rumeurs et la désinformation.
La façon la plus efficace et solidaire de vous renseigner sur les enjeux touchant les négociations d’ententes collectives est de vous adresser directement à l’UNEQ si vous avez des questions, de lire nos communications (disponibles sur notre site, y compris pour les non-membres) et de participer à nos réunions, dont certaines seront ouvertes aux non-membres. Être bien informé est le fondement même du progrès social et de la démocratie participative.
Solidairement,
Votre présidente,
Suzanne Aubry