Mot de la présidente — juillet 2018
Réfléchir est une nécessité
Par Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ
Lorsque le Festival international de Jazz de Montréal a pris la décision de mettre fin aux représentations de SLĀV, l’UNEQ a choisi de ne pas intervenir « à chaud » afin de ne pas jeter son opinion en pâture dans le débat qui faisait rage, souhaitant plutôt prendre le recul nécessaire afin de réfléchir aux questions importantes et complexes soulevées dans la foulée de cet événement concernant l’appropriation culturelle, la censure, les libertés de création et d’expression.
Puis survint l’annulation du spectacle Kanata, annoncée par la compagnie de Robert Lepage, Ex-Machina. Devant l’ampleur de la polémique qui était en voie de se transformer en véritable débat de société, le conseil d’administration de l’UNEQ, de concert avec la direction générale, a convenu de diffuser un texte à ce sujet. Nous étions très conscients du fait que notre intervention survenait dans un environnement pour le moins explosif où s’affrontaient, par le biais des médias et des réseaux sociaux, des visions parfois diamétralement opposées (y compris chez nos propres membres) sur les enjeux que j’ai nommés plus haut.
Notre intention était d’établir un dialogue, d’en appeler à une réflexion approfondie sur ces questions essentielles dans une société démocratique comme la nôtre, et non pas de prendre parti avant même que la réflexion ne commence. Car prendre parti, c’est choisir un camp, c’est éliminer d’emblée la possibilité d’entendre des voix divergentes. Et nous croyons que notre devoir est d’ouvrir la porte à ces voix, de leur laisser un espace où elles seront entendues. Toutes les voix.
Ce texte, publié sur notre page Facebook, a suscité beaucoup de réactions passionnées, certaines favorables, d’autres critiques, ce qui fait partie intrinsèque de la liberté d’expression. D’aucuns nous ont reproché notre « mollesse » parce que, selon eux, nous n’avions pas dénoncé haut et fort la censure dont Robert Lepage aurait été la victime. D’autres nous ont reproché d’avoir pris la défense de Robert Lepage sans tenir suffisamment compte du point de vue des Premières Nations ou des minorités afro-descendantes. Pourtant, nous avions pesé chaque mot, avec le sentiment de marcher dans un champ de mines. Nous voulions à tout prix éviter de tomber dans une rhétorique du genre : « Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous. »
Les prises de positions de l’UNEQ ne feront jamais l’unanimité chez ses membres. Aucun syndicat, aucune association ni aucun parti politique n’arrivent à cela, sinon par l’intimidation, le musellement, voire la violence. Notre raison d’être, en tant que syndicat, est de représenter et de défendre toutes les écrivaines et tous les écrivains, et cela suppose nécessairement d’avoir une distance critique par rapport aux impératifs du présent, de tendre la main, de tenter de comprendre des points de vue divergents et de favoriser un dialogue à la fois franc et respectueux.
C’est dans cet esprit que nous souhaitons mettre sur pied, avec l’aide de différents partenaires, une journée de réflexion qui porterait sur l’appropriation culturelle, la censure, les libertés de création et d’expression et qui regrouperait écrivains, artistes, professeurs et chercheurs afin de réfléchir à ces questions (qui interpellent non seulement les créateurs, mais toute la société), avec ce que cela suppose de calme, de recul, de profondeur et de remise en question. Réfléchir. Ensemble. C’est une nécessité.