Mot de la présidente — mai 2018
« Comme c’est curieux, comme c’est bizarre… » (Eugène Ionesco)
Par Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ
Lors de notre présentation devant le Comité permanent de l’industrie et du commerce dans le cadre de la révision de la Loi sur le droit d’auteur, le 24 avril dernier, le directeur général de l’UNEQ Laurent Dubois et moi-même avons souligné, entre autres choses, que les nombreuses exceptions introduites dans la Loi par le gouvernement conservateur en 2012 et les interprétations extrêmement larges qui en sont faites avaient eu comme effet de réduire les revenus des écrivains et des éditeurs provenant de la gestion collective de 30 millions $. (Cliquez ici pour lire notre communiqué.)
Durant la longue période de questions qui s’est ensuivie, il nous a fallu nous défendre d’être contre les bibliothèques, contre la libre circulation du savoir dans les institutions scolaires, contre les étudiants qui ont besoin d’avoir accès à tous les contenus pour parfaire leurs connaissances et même, contre l’innovation. Innovation qui semble vouloir dire la possibilité d’utiliser, de transformer, de charcuter les œuvres des auteurs sans autre considération…
À la suite de notre comparution, Michael Geist, un professeur de droit à l’Université d’Ottawa et défenseur acharné de l’accès gratuit aux œuvres, a affirmé dans son blogue que l’UNEQ « takes aim at copyright user’s right. » Traduction libre : l’UNEQ « s’en prend aux droits des usagers ». (Cliquez ici pour lire notre réplique à Michael Geist.)
« Comme c’est curieux ! comme c’est bizarre ! » s’exclame Mr. Martin dans La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco. Pour paraphraser ce grand dramaturge de l’absurde, oui, c’est en effet une coïncidence aussi curieuse que bizarre que le simple fait de revendiquer le droit au respect de l’intégrité de nos créations et à des redevances équitables soulève ces critiques.
Ce n’est pas un hasard si on tente d’opposer les écrivains aux utilisateurs. En nous reprochant de priver les bibliothèques, les universités et les étudiants du libre accès à nos œuvres, on prétend nous faire jouer le rôle odieux d’obstacle à la libre circulation des contenus. On nous fait passer pour des censeurs, ce qui est faux et va même à l’encontre de notre rôle fondamental en tant que défenseurs de la liberté d’expression. Il y a une profonde injustice à présenter la nécessité de rémunérer les créateurs comme une attaque contre les utilisateurs. La réalité, c’est qu’à force de priver les auteurs de leurs revenus, on risque à terme de les empêcher d’écrire. Ce serait là la pire des censures.
Il ne devrait pas y avoir de contradiction entre le respect des œuvres, la rémunération des écrivains et la libre circulation des contenus. L’écrivain et dramaturge Beaumarchais a été l’un des premiers écrivains à revendiquer des droits d’auteurs, et il a été l’un des ferments de la Révolution française… De grands écrivains comme Dickens ou Balzac se sont battus pour être payés par les journaux et les éditeurs pour la publication de leurs romans. Étaient-ils des censeurs pour autant ?
Comme c’est curieux, comme c’est bizarre que la défense de nos droits d’auteurs soit perçue par certains comme une menace, voire comme un bâillon, alors que la Loi sur le droit d’auteur a été créée justement pour les protéger.
Je répète : pour les protéger. Et je pose la question au gouvernement : quels moyens entend-il mettre en œuvre pour atteindre cet objectif premier et essentiel ?