Projet de loi 35 : audition de l’UNEQ en commission parlementaire
Le 24 mai 2022, les représentantes et représentants des principales associations d’artistes au Québec, dont l’UNEQ, ont été reçus à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une commission parlementaire sur l’étude du projet de loi 35 visant à modifier les lois sur le statut de l’artiste. Voici l’intervention de Suzanne Aubry, présidente, et de Laurent Dubois, directeur général de l’UNEQ, devant les membres de la commission parlementaire.
Madame Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, Madame Christine Saint-Pierre, porte-parole de la culture du Parti libéral, Madame Catherine Dorion, porte-parole de la culture de Québec Solidaire, Monsieur Pascal Bérubé, porte-parole de la culture du Parti québécois, Mesdames et Messieurs les députés de la Commission parlementaire économie et travail.
Je me présente : Suzanne Aubry, présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, écrivaine et autrice dramatique. Je suis accompagnée de Laurent Dubois, directeur général de l’UNEQ. Nous vous remercions de nous avoir invités à participer à ces consultations pour l’étude du projet de loi 35.
Syndicat professionnel fondé le 21 mars 1977, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) regroupe aujourd’hui plus de 1 600 écrivaines et écrivains, dans tous les genres (poésie, roman, théâtre, essai, jeunesse, ouvrages scientifiques et pratiques, manuels scolaires, etc.). Depuis 45 ans, l’UNEQ travaille à la défense des droits socio-économiques des écrivaines et des écrivains ainsi qu’à la valorisation de la littérature québécoise. L’UNEQ a été reconnue en 1990 comme l’association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes en arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (la Loi S-32.01) et elle a été accréditée en 1996 par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs pour négocier, de façon exclusive, avec les producteurs relevant de la compétence fédérale, afin de conclure des accords-cadres qui définissent les conditions d’embauche des travailleurs professionnels autonomes du secteur littéraire.
Pendant plus de 30 ans, les écrivaines et écrivains que nous représentons ont dû vivre sous la Loi S-32.01, qui n’obligeait d’aucune façon les éditeurs et les producteurs à négocier des ententes collectives fixant les conditions minimales des contrats.
Pendant plus de 30 ans, contrairement à la majorité des artistes, les autrices et auteurs ont exercé leur métier sans bénéficier d’ententes collectives encadrant leurs conditions de travail, sans filet social, sans recours à l’arbitrage ou au Tribunal administratif du travail en cas de litige.
Pendant plus de 30 ans, les autrices et les auteurs ont dû négocier leurs contrats seuls face à des éditeurs de plus en plus puissants. Peu familiers avec le jargon juridique, embourbés dans des négociations de gré à gré, ils sont nombreux à signer des contrats abusifs qui vont les suivre pendant des décennies (souvent après leur décès), avec des répercussions incalculables sur la suite de leur carrière.
Voici quelques exemples les plus criants de clauses totalement abusives qui ont été imposées dans les contrats des écrivaines et écrivains au fil des ans :
Les clauses de préférence qu’imposent certaines maisons d’édition condamnent l’artiste à réserver ses œuvres futures exclusivement au diffuseur, et ce, parfois sans aucune limite dans le temps. Ce qui revient à dire que vous êtes pieds et poings liés avec votre éditeur pour la suite de votre carrière.
Des cessions de droits complètes dépossèdent les autrices et auteurs de tout contrôle sur les diverses exploitations futures de leurs œuvres (adaptation cinématographique, livre audio, traduction ou adaptation au théâtre, par exemple).
Des clauses appelées « paiements inter-titres » permettent aux éditeurs de compenser l’éventuel manque de rentabilité d’une publication en ponctionnant les redevances à verser pour une autre œuvre.
Pendant plus de 30 ans, un abus de position dominante dû au déséquilibre du rapport de force entre les écrivains et les diffuseurs a favorisé un climat de travail parfois toxique, pouvant mener à du harcèlement psychologique ou à des situations d’agressions sexuelles sans que la Loi S-32.01 n’offre quelque protection que ce soit en cas d’abus. Aucun grief possible, aucune médiation accessible, aucun recours facilement accessible.
Pendant plus de 30 ans, les autrices et auteurs se sont vus offrir de participer à des activités de promotion ou de valorisation de la littérature sans contrepartie financière ou avec une rémunération indécente, bien en dessous des recommandations de l’UNEQ.
Pendant plus de 30 ans, l’UNEQ a été privé de son pouvoir de représenter comme il se doit les écrivains membres et non membres, et par le fait même ceux-ci ont été privés d’une partie importante de leur liberté de s’associer pour améliorer leurs conditions socio-économiques.
Pendant plus de 30 ans, la loi actuelle S-32.01 a démontré qu’elle est inéquitable, injuste et inapplicable.
Fort heureusement, aujourd’hui, un nouveau chapitre peut s’écrire.
En intégrant la littérature, le théâtre et les arts visuels parmi la liste des secteurs qui étaient auparavant encadrés par la Loi S-32.1, le projet de loi 35 instaure enfin une obligation pour les diffuseurs et producteurs de s’asseoir avec les syndicats pour négocier de bonne foi des ententes collectives fixant les conditions minimales des contrats.
En instituant une loi commune à toutes les disciplines artistiques, le législateur permet un rééquilibrage du rapport de force. Il sort les autrices et les auteurs de l’ornière du contrat négocié de gré à gré et donne à l’UNEQ le pouvoir de négocier des ententes collectives avec les différents partenaires dans le milieu du livre.
Ainsi, nos artistes ne seront plus jamais isolés dans cette étape cruciale qu’est la signature d’un contrat. Des conditions minimales auront été négociées préalablement entre les parties et la discussion ne portera alors que sur une possible bonification de ces planchers.
Grâce au projet de loi 35, l’UNEQ entreprendra, aussi rapidement que possible, des négociations de bonne foi avec les éditeurs et autres diffuseurs afin de signer autant d’ententes collectives que nécessaire, secteur par secteur, et ce dans le but de tenir compte des différentes réalités dans la chaîne du livre.
En élargissant les pouvoirs du Tribunal administratif du travail aux artistes, le projet de loi 35 favorise l’accès à la justice pour une catégorie de travailleuses et travailleurs obligés jusqu’alors, en cas de litige, de se tourner vers les tribunaux de droit commun, aux procédures souvent longues et coûteuses.
Pour ce qui est du harcèlement psychologique ou sexuel, le projet de loi 35 donne enfin à tous les artistes les mêmes dispositions que celles qui s’appliquent aux travailleuses et travailleurs québécois, qui figurent dans la Loi sur les normes du travail. Ces questions, si fondamentales, ne feront plus l’objet de négociations entente par entente.
Le projet de loi 35 donnera à l’UNEQ des moyens essentiels pour négocier avec tous les diffuseurs, que ce soient les salons du livre, les bibliothèques, les librairies, les institutions scolaires. Ces dispositions mettront fin aux prestations non rémunérées qui sont malheureusement trop souvent la règle dans le milieu du livre.
Les ententes collectives prévoiront également des modalités relatives aux griefs ou à l’arbitrage, garantissant ainsi une bonne exécution des accords négociés.
Pour toutes ces raisons, le projet de loi 35 est historique et constitue un progrès socio-économique sans précédent pour les écrivaines et les écrivains. Il y aura un « avant » et un « après » projet de loi 35 pour notre métier.
L’UNEQ salue la volonté politique du gouvernement et les efforts transpartisans de tous les partis politiques en soutien au projet de loi 35 afin qu’il puisse être adopté rapidement. Je tiens à remercier Madame la Ministre Nathalie Roy d’avoir exaucé nos demandes avec ce projet de loi novateur qui changera complètement la vie des écrivaines et des écrivains. Je tiens également à remercier Madame Christine St-pierre, Madame Catherine Dorion et Monsieur Pascal Bérubé pour leur écoute et leur sensibilité quant à la précarité du métier d’écrivain au Québec et aux injustices vécues par nos artistes.
Le projet de loi 35 doit à tout prix vivre, car il instaure équité et justice pour les écrivaines et les écrivains, qui seront enfin considérés comme des artistes à part entière et auront les mêmes droits et les mêmes protections que les autres artistes.
Nous appuyons fortement le projet de loi 35 et demandons son adoption avant la fin des travaux parlementaires, le 10 juin prochain.
Nous vous remercions de votre écoute.