Lecture et liberté : un club en prison

En septembre 2018, les Rendez-vous du premier roman ont ouvert un club de lecture au Centre de détention de Montréal (Bordeaux) : pendant deux heures toutes les deux ou trois semaines, l’écrivaine et ancienne lauréate du Festival du premier roman de Chambéry Marie-Christine Boyer a emprunté avec les détenus les chemins d’évasion que nous offre la lecture. Car entre les murs des prisons, les livres ne sont pas interdits.

Marie-Christine Boyer a répondu aux questions de l’UNEQ.

Comment entre-t-on dans une prison pour y parler de littérature ?

Il y a un « avant l’entrée » et un « après l’entrée » ; pénétrer dans ce lieu et échanger avec les détenus change notre perspective. D’un côté, l’idée qu’on se fait de la prison est confirmée : tout y est impressionnant, l’immense porte d’entrée, les règles de sécurité, les étapes à franchir, cela donne le ton pour ces premières prises de contact chargées d’une certaine lourdeur. Il y avait aussi dans la première rencontre, ma propre appréhension, une certaine nervosité. D’un autre côté, une fois passées ces étapes, on en accepte les règles, on ne pense plus à notre sécurité. On demeure vigilant, mais ce n’est pas quelque chose auquel on pense tout le temps. Et puis, le plaisir de parler, ou d’entendre parler des livres, de la lecture et même de l’écriture prend le dessus, on a juste envie de le partager.

Prison de Bordeaux
(photo : Stéphane Batigne)

Pendant les rencontres, je suis accompagnée de la responsable de la bibliothèque du centre de détention qui est également à l’initiative de l’ouverture du club entre leurs murs. Sa présence a été importante pour moi car elle a été le lien avec les participants en dehors des rencontres. C’est elle qui souvent a recueilli leurs impressions du livre qu’ils venaient de finir et de celui qu’ils allaient peut-être commencer à lire, qui les a conseillés, écoutés. Elle a continué le club de lecture en dehors des rencontres. Son rôle a été très important et dans ce sens nous avons animé le club ensemble. Les séances du club ont lieu dans la bibliothèque.

La première séance a attiré huit curieux. Je me souviens qu’à un moment donné, le bruit venant du couloir a augmenté et j’ai demandé si on pouvait fermer la porte. Comme le gardien se trouvait à l’extérieur, la nature du lieu où je me trouvait m’a traversé l’esprit une fraction de seconde puis je n’y ai plus pensé. La vigilance est de mise, on reste « en éveil », mais il ne faut pas penser qu’à ça.

Leur intérêt a-t-il perduré ?

Dès la deuxième rencontre, le club s’était grandement réduit… Animer un club en prison, c’est être soumis à une grande quantité de variables. Plein de choses peuvent se passer entre deux séances. Bordeaux est une prison provinciale où les hommes ont des peines courtes, de quelques mois parfois. Ils peuvent être transférés ou avoir des conflits d’horaire, ce qui fait que les rencontres sont plus difficiles à planifier. Ils peuvent aussi être fatigués, être en attente d’une décision, recevoir de la visite comme celle de leur avocat, etc. Il y a aussi d’autres ateliers : poterie, zoothérapie ou des cours de français. D’une rencontre à l’autre, la dynamique peut donc complètement changer, ça amène à devoir être très adaptable en termes d’animation. Il suffit de très peu de chose pour que la rencontre ne se fasse pas bien, que la communication soit difficile, comme si le moindre grain de sable dans les rouages pouvait changer la dynamique et rendre le moment plus volatile. Il ne faut pas forcer les choses. Mais être là, même être venue « pour rien » est important.

Néanmoins, quelques participants sont demeurés fidèles, au point que l’un d’entre eux a souhaité avancer la date d’une des rencontres pour être certain d’y assister avant sa sortie.

Quel type de lecteur sont-ils ?

Les fidèles au club de lecture sont d’avides lecteurs. Amateur de slam et de poésie, l’un d’eux aime aussi la littérature russe de Dostoïevski ou Tolstoï. Un autre a préféré lire des extraits plus courts des romans en sélection, je lui ai aussi apporté des poèmes de Prévert ou encore L’histoire de Monsieur Sommer de Patrick Süskind. L’écriture est aussi un élément d’intérêt. L’un d’eux a été très touché par ce passage où Christian Bobin parle de l’écrivain comme quelqu’un qui n’écrit pas toujours, mais qui est aussi un être « bouleversé par la vérité de sa propre parole ».

De quelle manière avez-vous parlé de littérature ?

Le livre n’est qu’un prétexte, un support de conversation. J’ai parlé de ce que j’aimais dans les livres et dans l’écriture, de l’imagination et de la création comme, dehors ou en-dedans, la seule véritable liberté, ce que je crois profondément. Dans ce sens-là, je les ai encouragés à écrire pour inventer leur espace de liberté.

Marie-Christine Boyer

Parler d’autres écrivains et de leurs propres intérêts de lecteurs permet de revenir à ceux de la sélection. Parfois cela arrive tout seul sans que je n’ai besoin de les ramener dans la conversation. Les choses se passent quand elles passent. Il faut souvent y aller sur la pointe des pieds et en même temps, saisir les occasions de discussions quand elles se présentent, ou laisser passer les moments de silence. C’est un vrai exercice d’animation !

Par la force des choses, c’est un milieu rempli de contraintes. Tout est long et réglementé. Lire dans le silence leur est souvent difficile sinon impossible, car c’est un milieu qui peut être très bruyant : la radio ou la télévision d’un codétenu, les bruits de couloirs, etc. Les casques d’écoute étant prohibés, il ne leur reste que les bouchons d’oreille.

Il y a un vrai désir de lire, et de lire toutes sortes de choses. Les avis sur un roman sont souvent unanimes autant sur le fond que sur la forme ! Le petit nombre des participants rend difficile un véritable débat, mais lors des dernières rencontres, une sorte d’intimité s’est créée autour des livres, ils revenaient d’eux-mêmes sur les raisons pour lesquelles ils avaient moins aimé celui-ci, plus apprécié un autre, les commentaires étaient plus détaillés. La latitude donnée dans les discussions est appréciée, elle est importante. Au tout début, je leur ai « lu leurs droits », les droits du lecteur de Daniel Pennac, ce qui les a fait rire. On pourrait les appeler « les libertés du lecteur » : celle de ne pas lire, celle de ne pas finir, etc. C’est ce que nous disions : la lecture est un espace de liberté.

Qu’est-ce que le club leur apporte ?

Je crois qu’il offre un espace de parole, sans contrainte. Le club de lecture est un endroit où ils peuvent parler différemment, plus librement peut-être, les livres apportent une dimension d’humanité. Ça peut aussi être un moment de répit et de calme.

Quels titres de la sélection 2018-2019 des Rendez-vous du premier roman ont-ils aimés ?

Ils ont apprécié Noms fictifs d’Olivier Sylvestre, notamment pour sa qualité littéraire et sa forme. Ils ont exprimé beaucoup d’empathie pour le sentiment d’impuissance du personnage principal. Pas de géant de Gabriel Allaire a aussi été très apprécié pour sa poésie, le thème, la forme ; c’est d’ailleurs ce primo-romancier qu’ils ont choisi pour une rencontre en ce début d’année. Ils ont également aimé Dopamine de Jeanne Dompierre et La vérité sort de la bouche du cheval de Meryem Alaoui.

Si le club de lecture leur ouvre ainsi la porte pour parler de différentes choses, on en revient souvent aux livres. Lors d’une rencontre, un des participant a apporté un livre à son camarade du club ; la lecture devient un moyen de créer d’autres liens, d’en discuter après.

Ces rencontres n’ont pas toujours été faciles, ça se remarque très rapidement quand « ce n’est pas un bon jour » : on sent la fatigue, leur refus de parler et puis, il peut y avoir d’autres moments où un ange passe et, comme en prison ils ne passent pas souvent, ce sont des moments marquant dont on se souvient. J’ai le sentiment que, peut-être, tous ces efforts, ces doutes, ces séances parfois hésitantes, ces lectures parfois infructueuses, ne sont destinés qu’à un seul de ces moments. Il faut créer l’espace pour qu’ils arrivent ; on fait ça petit pas par petits pas. Un seul instant de grâce est suffisant pour appeler toute cette expérience un succès. Et nous en avons eu.


Post-scriptum : l’écrivain Gabriel Allaire plébiscité par les lecteurs du Centre de détention de Montréal

Gabriel Allaire
(photo : Philippe Richelet)

Le 18 janvier 2019, les lecteurs du Centre de détention ont convié leur favori à venir les rencontrer. C’est l’écrivain Gabriel Allaire (Pas de géants, Leméac) qui est venu pour échanger pendant plus d’une heure avec les onze lecteurs présents. L’auteure et animatrice Marie-Christine Boyer animait la rencontre. La professeure de français du Centre avait également préparé plusieurs questions avec les étudiants.

Gabriel Allaire résume la rencontre : « Il n’y a pas eu une minute de silence. Assis en cercle sur des chaises en plastique qui me rappelaient celles de mon école primaire, on a parlé sans arrêt. J’y ai rencontré des lecteurs curieux et sensibles. Je sais déjà que je me souviendrai longtemps du moment où D. L. et E. ont commencé à parler entre eux, comme s’ils étaient seuls. Ce n’était plus à propos du livre, mais de leur enfance. Et de ce qui leur restait de celle-ci aujourd’hui. ‘On est tous des petits Olivier !’, m’a dit l’un d’entre eux. »

Un club qui s’est terminé trop tôt, la plupart des présents auraient voulu poursuivre… Lire encore, en discuter encore !

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