Mot de la présidente — décembre 2017
Par Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ
Chères écrivaines, chers écrivains,
L’année 2017 fut écrite sous le signe du changement. Après avoir été élue présidente par le conseil d’administration, au mois de mai dernier, afin de poursuivre le mandat de Réjane Bougé jusqu’en décembre 2018, j’ai dû procéder, avec le comité de direction de l’UNEQ, au remplacement de notre directeur général, Francis Farley-Chevrier. Après six années de bons et loyaux services, Francis souhaitait donner une nouvelle orientation à sa carrière, que je lui souhaite heureuse et remplie de succès.
Le choix d’une nouvelle personne à la direction générale d’une association comme la nôtre est une décision des plus importantes. Ce choix doit s’appuyer sur nos valeurs, nos objectifs, nos rêves, et il est déterminant pour notre avenir. Et c’est aussi une occasion inespérée d’avoir un nouveau regard sur nos façons de faire, de donner un souffle nouveau à cet énorme paquebot qu’est devenu l’UNEQ au fil de ses quarante ans d’existence.
Je vous le dis d’emblée, nous avons eu la main heureuse en choisissant Laurent Dubois comme directeur général de l’UNEQ. Laurent allie de grandes qualités de gestionnaire à un sens inné du leadership. Il possède cette confiance en soi qui, accompagnée d’une capacité de remise en question, ne tombe jamais dans l’arrogance. C’est un humaniste doublé d’un homme d’action. Autrement dit, une perle rare…
Des chantiers vitaux pour la défense de nos droits
La ministre fédérale Mélanie Joly a annoncé récemment qu’elle mettrait en place un processus de révision de la Loi sur le droit d’auteur par les parlementaires. Vous vous rappelez que l’ancien gouvernement conservateur avait introduit, en 2012, de nombreuses exceptions au nom de « l’utilisation équitable », dont les conséquences ont été désastreuses pour les auteurs : baisse importante des redevances payées par les institutions scolaires, le litige juridique qui oppose Copibec à l’Université Laval — celle-ci utilise sans vergogne la notion d’utilisation équitable pour éviter de payer des redevances aux ayants droit. Il va sans dire que nous appuyons entièrement Copibec dans cette bataille juridique, qui risque d’être très longue. Et nous serons aux premières loges afin d’exiger un retour à une loi du droit d’auteur plus juste et plus respectueuse pour les créateurs.
Bien que nous saluons le réinvestissement de Patrimoine canadien dans les institutions culturelles telles que le Conseil des arts du Canada, Téléfilm Canada et l’Office national du film, nous avons été scandalisés par l’entente entre la ministre Joly et Netflix. Non seulement cette entente est secrète, mais elle ne fixe aucun quota pour les productions de langue française et elle permet à une multinationale américaine de ne pas payer de taxes au Canada, alors que les autres entreprises canadiennes sont tenues de les verser. Il s’agit d’une iniquité fiscale sans précédent et d’un déni de la création en langue française. J’ai écrit une lettre ouverte pour m’opposer à ce « deal », et l’UNEQ continuera à s’y opposer à l’avenir, de concert avec une quarantaine d’associations et d’organismes québécois.
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Nous surveillerons également de près la révision des règlements de la Loi 51, que le gouvernement québécois a confié au Conseil consultatif de la lecture et du livre (CCLL), mais dont nous n’entendons plus parler depuis. Dans le mémoire que nous avions fait parvenir à Denis Vaugeois, en décembre 2015, nous avions réclamé notamment que la place des écrivaines et des écrivains soit mieux reconnue en tant que premiers maillons de la chaîne du livre, et que le parfait paiement des redevances dues aux auteurs soit une condition sine qua non à l’obtention de subventions, d’autant plus qu’il s’agit d’argent public.
Une nouvelle politique culturelle québécoise
L’UNEQ a participé activement aux différents comités et au forum mis sur pied par l’ancien ministre de la Culture et des Communications pour le conseiller sur sa nouvelle politique culturelle. Tout en déplorant le jeu de chaises musicales qui nous a valu trois ministres de la Culture en autant d’années, nous souhaitons vivement que la nouvelle ministre, Marie Montpetit, soit à l’écoute du milieu culturel, qui réclame depuis des lustres une augmentation substantielle de l’investissement du gouvernement pour soutenir adéquatement les créateurs et les artistes, ainsi que les institutions comme le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et les associations qui défendent les créateurs et font la promotion de leurs œuvres depuis de nombreuses années. Nous avons également insisté sur l’importance que le ministère revoie la Loi sur le statut professionnel des artistes 32.01 afin qu’elle inclue, par voie de règlement ou autre, une obligation pour les diffuseurs de négocier une entente-cadre avec l’UNEQ (la loi actuelle n’oblige pas les éditeurs de négocier une entente avec nous).
Pratiques contractuelles
L’UNEQ se préoccupe depuis sa fondation des conditions socioéconomiques des auteurs et de l’instauration de bonnes pratiques contractuelles. Nous offrons des conseils juridiques et une assistance aux auteurs pour la négociation de leurs contrats en la personne de Geneviève Lauzon, qui connaît les tenants et aboutissants des contrats d’édition sur le bout des doigts. Lorsque la situation risque de se judiciariser, nous pouvons compter sur les excellents avis de notre avocate, Véronyque Roy. Ce service de conseil sur les contrats d’édition est très apprécié par nos membres, et nous permet de rejoindre également les auteurs qui en sont à leur premier contrat et de bien les guider dans leurs négociations. Bien sûr, notre tâche serait plus simple si la Loi sur le statut professionnel des artistes obligeait les diffuseurs à négocier une entente cadre avec nous…
Rencontres avec l’ANEL
Lorsque tous les efforts qui avaient été consentis pour la négociation d’une entente-cadre avec l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) se sont effondrés brutalement avec la fin de non-recevoir des éditeurs lors d’une assemblée générale, il y a une vingtaine d’années de cela, il a fallu digérer une profonde amertume et tenter ensuite d’ouvrir de nouveaux chemins.
À défaut d’une loi du statut de l’artiste plus contraignante, l’UNEQ a décidé de s’orienter vers l’établissement de meilleures pratiques contractuelles par le biais de rencontres avec l’ANEL, accompagnées par le ministère de la Culture et des Communications et la SODEC. Depuis près de trois ans, nous nous sommes donc réunis avec des représentants de l’ANEL de façon régulière, et ces rencontres nous ont permis de réaliser des progrès notables :
- L’UNEQ a établi un « florilège » des pratiques contractuelles, allant des bonnes aux moins bonnes, jusqu’aux plus « pourries », qu’elle a divulguée auprès des représentants de l’ANEL afin qu’ils puissent mesurer clairement l’existence de pratiques à bannir (cessions de droits illimitées sur les œuvres, non-paiement des redevances, sommes perçues pour un titre sur des contrats différents, par exemple) et d’autres pratiques à encourager (licence limitée temps le temps, reddition de compte claire, à-valoir, conditions de résiliation adéquates, etc.).
- Nos deux organismes ont convenu d’un modèle de reddition de compte minimal qui a fait l’objet de diffusion auprès de nos membres respectifs, et de formation auprès des éditeurs. Que vaut un contrat, fut-il le meilleur, s’il n’y a pas un compte rendu clair et transparent du tirage initial, du nombre d’exemplaires vendus, des redevances dues ?
- L’UNEQ et l’ANEL ont créé un lexique des termes utilisés dans les contrats, ce qui est extrêmement utile dans la négociation des contrats d’édition, puisque ce lexique définit et clarifie ces termes, ce qui facilite grandement l’interprétation.
- Nous avons formé un comité conjoint qui se réunira régulièrement afin de discuter de cas spécifiques et de faire des recommandations afin que de meilleures pratiques s’établissent.
- Nous avons enfin lancé un chantier avec l’ANEL pour discuter des contrats numériques.
Bien que nos relations avec l’ANEL se soient grandement améliorées, que nous avons réussi à établir un dialogue constructif et à faire valoir de meilleures pratiques contractuelles, il n’en reste pas moins que ces avancées (telles que le modèle de reddition de comptes et le lexique commun) ne sont pas traduites par une obligation des éditeurs de les mettre en œuvre. Durant ma présidence, je déploierai tous mes efforts pour que ce modèle de reddition de compte devienne la norme dans l’industrie.
Regards sur l’avenir de notre association et sur les nouvelles pratiques de la littérature
L’UNEQ se porte bien. Appuyée par une équipe extraordinaire de huit employés, par un conseil d’administration engagé et dynamique, notre association déploie un grand nombre d’activités et multiplie les bons coups, telle la plateforme de formation continue L’auteur autonome, qui s’adresse aux écrivains de la relève, aux écrivains professionnels et à tous ceux qui ont besoin d’informations sur le milieu du livre et le métier d’écrivain et leur permet d’obtenir une formation en ligne sur la négociation, les contrats d’édition, les paramètres de l’édition numérique, la fiscalité de l’écrivain, l’autoédition, la conception d’un document promotionnel et d’un site Internet, et plusieurs autres sujets… Et c’est gratuit pour les membres ! :-)
L’UNEQ a également lancé l’application Opuscules (développée par le Laboratoire NT2 de l’Université du Québec à Montréal), consacrée à la littérature québécoise, qui en est à sa deuxième édition. Accueillant les textes inédits d’écrivaines et d’écrivains québécois, Opuscules est également devenue un véritable portail de la littérature d’ici, permettant aux internautes de mieux connaître les auteurs par un agrégateur de blogues traitant de littérature québécoise, avec vidéos, entrevues d’écrivains et calendrier d’événements littéraires.
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Malgré son dynamisme et les nombreuses activités que l’UNEQ déploie depuis 40 ans, notre association doit faire face à une situation financière difficile. Bien que le soutien et la confiance des institutions subventionnaires soit toujours au rendez-vous, l’UNEQ a été privée injustement, il y a trois ans, de l’exemption de taxes foncières dont elle jouissait. Depuis, nous devons donc payer 50 000 $ par année de taxes, ce qui grève de façon importante notre budget. Nous avons déposé un nouveau dossier en cour municipale afin de regagner cette exemption, mais rien n’est acquis. C’est une autre bataille que nous avons l’intention de mener jusqu’à l’épuisement de nos recours.
Parallèlement, comme notre plan stratégique est arrivé à échéance, le nouveau conseil d’administration en profitera pour se replonger dans un nouvel exercice de réflexion sur les raisons d’être de l’UNEQ et les meilleures façons de continuer à soutenir nos auteurs, de défendre leurs droits sur toutes les tribunes, de faire connaître encore davantage leurs œuvres au Québec, dans le reste du Canada et à l’étranger. Nous avons également le devoir moral d’assurer une plus grande diversité au sein de notre membership, de notre conseil d’administration, de nos projets, et de nous pencher sur l’égalité des hommes et des femmes afin que celle-ci ne soit plus un concept abstrait, mais s’incarne dans nos politiques et nos pratiques quotidiennes.
Enfin, je voudrais rendre hommage à André Roy et à Sylvie Desrosiers pour leur engagement et leur dévouement à la cause des écrivaines et des écrivains durant leur mandat au sein du conseil d’administration. Je leur souhaite beaucoup d’inspiration et de succès.