L’Assemblée nationale, qui a défendu Champlain, vient de larguer Crémazie
Par Réjane Bougé, présidente de l’UNEQ
Le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) a annoncé aujourd’hui, 2 mars 2017, que la circonscription montréalaise de Crémazie sera rebaptisée Maurice-Richard. Le Journal de Montréal, non content d’annoncer cette victoire de l’athlète sur l’homme de lettres, brosse un portrait méprisant de Crémazie :
« Le nom de Crémazie faisait référence à un célèbre libraire et auteur de Québec, Octave Crémazie, qui n’avait aucun lien avec Montréal, et dont le nom orne encore la station de métro de quartier et nomme la voie de desserte de l’autoroute Métropolitaine (A-40). Il avait terminé sa carrière de libraire dans la déchéance financière, ayant été reconnu coupable de fraude. »
Octave Crémazie a connu des déboires financiers, certes, mais son héritage ne se limite pas à ses dettes ! Cet article à la va-vite du Journal de Montréal ne fait que perpétuer non seulement l’ignorance de l’histoire (qui est trop souvent notre lot, au Québec), mais calomnie une figure du passé en mettant l’accent sur les éléments sombres de sa biographie. Ce qui, implicitement, justifie qu’on efface son nom d’une circonscription électorale au profit de celui de Maurice Richard.
Un poète national
Octave Crémazie, né à Québec en 1827, est considéré comme le premier poète national du Québec.
En 1844, il a inauguré à Québec une librairie qui est devenue, une quinzaine d’années plus tard, un important carrefour culturel. Inspiré par les œuvres des écrivains français qu’il proposait à ses clients, Octave Crémazie s’est mis à la plume. L’arrivée à Québec en 1855 de la Capricieuse, navire français qui symbolisait la reprise des relations entre la France et le Canada, lui a inspiré un poème devenu fameux, « Le Vieux soldat canadien ». Tout aussi patriotique, son poème « Le drapeau de Carillon » (1858) fut très populaire pour son exaltation de la résistance des Français d’Amérique.
En 1862, Crémazie était acculé à la faillite de sa librairie. Il a fui ses créanciers en s’installant clandestinement à Paris, où il a vécu un exil malheureux jusqu’à sa mort en 1879.
Volte-face du DGEQ
Selon la loi électorale québécoise, la délimitation des circonscriptions électorales doit être révisée toutes les deux élections générales. Le 15 septembre 2016, la députée libérale de Crémazie, Marie Montpetit, a présenté une proposition visant à modifier le nom de sa circonscription pour honorer la mémoire de Maurice Richard. Cette demande provenait de la famille Richard et de l’association de hockey mineur des Braves d’Ahuntsic, dont Maurice Richard fut le membre fondateur. Le « Rocket » a vécu pendant plus de 50 ans dans la circonscription, dans le quartier Ahuntsic.
La demande de modification a été entendue par la Commission de toponymie du Québec. Le DGEQ avait la responsabilité de trancher. Le 7 février dernier, le DGEQ a rejeté la proposition en soutenant que les circonscriptions électorales qui, lors d’une révision, voient leurs frontières inchangées doivent conserver leur nom pour assurer une continuité.
Le dossier semblait clos. Or, la députée libérale de Crémazie a contesté la décision du DGEQ. Et le DGEQ a officiellement annoncé aujourd’hui la modification du nom de la circonscription de Crémazie pour celui de Maurice-Richard.
Pourquoi le DGEQ contrevient-il à son propre règlement ?
Dans une province dont la devise est « Je me souviens », a-t-on oublié que le gouvernement fédéral a laissé entendre pendant quatre ans, en 2011-2014, que le nouveau pont Champlain serait rebaptisé pont Maurice-Richard, et qu’une polémique l’a forcé à reculer ? Le 13 novembre 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution unanime en faveur du maintien du nom de Champlain, le plus illustre navigateur et explorateur de la Nouvelle-France. Pourquoi n’a-t-elle pas défendu Octave Crémazie ?
La question importante qui se pose : Maurice Richard est un héros national, le commémorer va de soi, mais pourquoi déshabiller un écrivain pour habiller un athlète ?