Des boulets et des ailes
(Vous trouverez ci-dessous le rapport annuel de la présidente sortante de l’UNEQ, Danièle Simpson, dévoilé lors de l’assemblée générale tenue le 3 décembre 2016. Après avoir complété trois mandats à la présidence, Danièle Simpson a cédé les rênes de l’UNEQ à Réjane Bougé — voir notre communiqué.)
Chers collègues,
Pour écrire ce dernier rapport, j’ai relu les cinq autres que j’ai produits depuis mon élection en 2010 ainsi que les rapports d’activités de l’UNEQ de 2011 à 2016. Je voulais voir quel portrait de notre association se dessinait au terme de mes six années de présidence. Qu’est-ce qui a changé ? Dans quels secteurs faisions-nous du surplace, malgré mes efforts et ceux de l’équipe et du conseil d’administration ? Pire, avions-nous reculé sur certains points ?
Les boulets que nous traînons n’ont pas été difficiles à identifier parce qu’ils étaient de taille. Le premier, que nous connaissons tous et qui n’aurait pas dû en être un, c’est la Loi sur le statut de l’artiste qui nous régit, S32.01. Elle donne aux associations d’artistes le droit de conclure avec leurs diffuseurs une entente portant sur l’utilisation de contrats types, mais n’oblige pas les diffuseurs à négocier. Résultat : plus de 25 ans après la mise en vigueur de la Loi, aucun accord n’est intervenu entre éditeurs et écrivains concernant les contrats d’édition, malgré nos tentatives en ce sens. Pourtant, et je cite l’article 43 de la Loi : « La bonne foi et la diligence doivent gouverner la conduite et les rapports des parties au regard d’une telle entente. »
Par ailleurs, la Loi S32.01 présente aussi un défaut majeur, qui est apparu au moment de la faillite de la Courte échelle à l’automne 2014. Nous croyions, à l’UNEQ, que s’appliquait l’article 36 de cette loi qui stipule que le contrat entre l’écrivain et l’éditeur est résilié si celui-ci commet un acte de faillite. Le syndic chargé de la gestion et de la liquidation des biens de la Courte Échelle a soutenu, au contraire, que la Loi sur les faillites et l’insolvabilité, qui est de juridiction fédérale, lui donnait le pouvoir de vendre les ouvrages publiés par la maison d’édition et avait préséance sur la loi provinciale. Pour le vérifier, il aurait fallu porter la cause devant les tribunaux, et bien sûr, avoir les moyens de le faire.
Le second boulet, de taille lui aussi, c’est la nouvelle Loi sur le droit d’auteur qui s’est enrichie, si l’on peut dire, d’une quarantaine d’exceptions, dont plusieurs de nature pédagogique, fondées sur l’utilisation équitable, une notion au sujet de laquelle le législateur n’apporte pas de précision. Sans surprise, ce sont les écrivains qui sont le plus pénalisés puisque leurs œuvres sont à la base du système d’éducation. Depuis l’adoption de la Loi, le déclin des redevances que peut distribuer notre société de gestion des droits de reproduction Copibec le prouve avec éloquence.
Mais il faut aussi ajouter à cette perte de revenus pour les créateurs, les sommes importantes que doit débourser Copibec pour poursuivre en justice l’Université Laval qui a décidé, unilatéralement et sans validation des tribunaux, de fixer l’utilisation équitable à 10 % d’une œuvre ou à un chapitre entier en insistant auprès de ses enseignants qu’il importait, et je cite : « de se prévaloir de la plus avantageuse des possibilités offertes ». L’argent dépensé par Copibec en frais juridiques ne peut évidemment pas être distribué aux créateurs.
Le troisième boulet, qui nous a tous pris par surprise, c’est la décision de la Commission municipale en 2012 de nous retirer l’exemption de taxes municipales dont nous bénéficiions depuis 18 ans sur la base, entre autres, du pourcentage de l’espace de la Maison des écrivains ouvert au public. Le commissaire devant qui nous avons comparu cette année-là a décidé, lui, de considérer plutôt le pourcentage des activités du personnel destinées au grand public, ce qui n’avait pas été fait jusque-là.
Pourtant, la décision qu’il a rendue a été confirmée en Cour supérieure par une juge qui, devant l’argument que nous œuvrions auprès de personnes à statut précaire, a répondu que Ken Follet et J.K. Rowling faisaient énormément d’argent avec la publication de leurs livres. Quel rapport il y avait entre la fortune de ces écrivains étrangers et le fait que l’UNEQ devait payer des taxes municipales, je l’ignore encore à ce jour. Toujours est-il que s’est ajoutée ainsi à nos dépenses annuelles la somme rondelette de 50 000 $. C’était d’autant plus désolant que cette année-là, nous avions réussi à faire des économies de 20 000 $ qui allaient être annuelles en mettant en ligne les documents qu’auparavant nous imprimions et acheminions par la poste à nos membres.
L’année suivante, c’est la ministre de la Culture, Hélène David, dans le but, disait-elle, de nous faire participer à l’effort budgétaire, qui a effectué ce qu’elle appelé « un resserrement de structures administratives » dont le résultat a été d’amputer de 12,5 % les subventions de fonctionnement des organismes artistiques soutenus par le CALQ (Conseil des arts et des lettres du Québec), ce qui a représenté pour nous une perte de 19 500 $ dont nous ne savons pas si elle sera récurrente.
Je suppose que vous avez maintenant en tête l’image de l’UNEQ, personnalisez-la comme vous voudrez, avançant péniblement avec ses quatre boulets aux pieds. C’est un peu ça, mais pas seulement, et vous allez voir pourquoi. Disons plutôt à cause de qui.
En parcourant les rapports d’activités, ce qui m’a frappée, c’est que malgré toutes les embuches mises sur notre chemin, nous avons réussi à étoffer l’éventail de nos services tout en continuant d’assurer ceux que nous dispensions déjà.
Aux consultations juridiques, par exemple, nous avons ajouté une adhésion à Juripop Artistes qui offre des services juridiques à moindre coût et nous assumons maintenant les frais d’inscription à la Cour des petites créances pour des causes liées à la pratique du métier d’écrivain.
Du côté des ateliers de formation, en plus de ceux que nous offrons à la Maison des écrivains, nous avons aussi mis en ligne une plateforme de formations à distance pour écrivains et professionnels du livre, L’auteur autonome, qui dessert autant nos membres en régions que ceux de Montréal et permet à chacun d’approfondir à son heure et à son gré plus d’une vingtaine de thématiques.
Nous avons aussi réexaminé de fond en comble la question des communications internes et externes. D’une part, nous voulions que l’UNEQ soit davantage présente sur la place publique par le biais de communiqués et d’entrevues dans les différents médias et, d’autre part, nous souhaitions moderniser nos moyens de communications en y incluant les réseaux sociaux. Nous avons donc créé d’abord un poste de chargée des communications, puis de directeur des communications. À ce dernier, nous avons confié la responsabilité de revoir l’ensemble des communications de l’UNEQ, en particulier son site web qui a été relooké l’an dernier, mais dont il fallait réviser les textes de manière à répondre davantage aux besoins des utilisateurs. À notre page Facebook, nous avons aussi ajouté un compte Twitter.
En ce qui concerne L’Unique, le conseil d’administration a décidé d’abandonner sa version papier, qui n’était publiée que quatre fois par année, au profit d’un bulletin version numérique moins volumineux, mais qui paraîtra plus souvent et dont les articles de fond, que pourront commenter les membres, seront davantage collés à l’actualité. Les activités de L’Unique reprendront sur une base régulière au début de 2017 lorsque le directeur des communications, Jean-Sébastien Marsan, aura établi une banque d’articles et identifié des collaborateurs éventuels. L’Info UNEQ, qui existe depuis 2010, continuera de parvenir par courriel aux deux semaines à ses 3 200 abonnés.
La promotion de la littérature québécoise, un de nos principaux mandats, a elle aussi bénéficié du soutien actif de l’UNEQ. En 2012, l’association a publié un Plaidoyer pour l’enseignement d’une littérature nationale : la littérature québécoise ! (Fides), qui démontrait qu’il était essentiel de faire connaître notre littérature à tous les étudiants, y compris aux immigrants. En 2014, le comité Enseignement de la littérature a produit un Répertoire d’œuvres du patrimoine littéraire québécois qui a été mis en ligne et est devenu interactif en septembre 2015 pour permettre aux professeurs de partager leurs expériences d’enseignement des œuvres qu’ils ou elles ont inscrites au programme. Il faudra continuer de faire la publicité de ce Répertoire pour que les enseignants prennent l’habitude de le consulter.
En 2015 encore, l’UNEQ a lancé la première application de littérature québécoise mobile, Opuscules, qui présente de courts textes inédits d’auteurs/es primés/es et donne accès à plus de 200 blogues littéraires. Opuscules, comme vitrine internationale de notre littérature, est certainement l’outil de promotion le plus intéressant que l’UNEQ ait réalisé, mais il est important de continuer à lui donner, comme au Répertoire, la visibilité nécessaire pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli, sinon tous les efforts déployés auront été vains et ce serait vraiment dommage.
Au printemps dernier, devant l’intérêt croissant des écrivains pour l’autoédition numérique, l’UNEQ a commandé une étude sur les principales plateformes qui a été réalisée depuis et que vous pouvez maintenant consulter sur notre site.
Parallèlement, les comités de l’UNEQ ne chômaient pas, en particulier celui des intérêts socioéconomiques des écrivains dirigé par Suzanne Aubry. En septembre 2014 s’amorçaient, sous l’égide du ministère de la Culture et des Communications, des rencontres avec l’ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) où nous avons présenté aux éditeurs les résultats d’une étude sur deux ans que nous avions menée sur une soixante de contrats d’édition et nous leur avons proposé ce que nous considérions comme des pratiques exemplaires.
L’ANEL ne s’est pas montrée disposée à établir avec nous un contrat type d’édition, mais a accepté de développer un modèle minimal de reddition de comptes et un lexique commun des termes usuels des contrats d’édition et des rapports de ventes. C’est chose faite. Le modèle a été présenté en atelier aux éditeurs par la présidente de l’ANEL et par notre conseillère juridique, Véronyque Roy, et nous demandons à ce qu’il soit annexé aux lignes directrices du programme d’aide à l’édition de la SODEC qui demande déjà aux éditeurs de déclarer solennellement avoir payé aux écrivains les redevances dues.
Théoriquement, il s’agit d’une avancée puisqu’une reddition de comptes claire et détaillée permet à l’auteur de suivre le cheminement commercial de son œuvre, mais comme l’ANEL se dit dans l’impossibilité d’imposer quoi que ce soit à ses membres, nous ne savons pas quel accueil réel sera réservé à ce modèle de reddition de comptes. Nos rencontres avec les éditeurs se poursuivent et nous avons l’intention de discuter avec eux dans un avenir rapproché de l’harmonisation de certaines clauses contractuelles qui ont cours avec les exigences de la Loi sur le statut de l’artiste. Nous espérons que ce sera l’occasion pour nos deux associations de se rapprocher de pratiques exemplaires qui ne peuvent que s’avérer bénéfiques pour le milieu littéraire.
De son côté, la direction de l’UNEQ travaillait à mettre en place des activités offertes au grand public et prenait de plus en plus plaisir à ouvrir la Maison des écrivains, aux membres qui peuvent maintenant réserver gratuitement une fois par année un local à l’UNEQ, aux individus et associations qui veulent tenir des évènements chez nous, au public qui a envie de visiter notre mini-galerie, de participer à nos clubs de lecture ou aux ateliers d’écriture, d’assister à nos tables rondes, bref à tous ceux que la littérature inspire. Notre réseau de partenaires s’est élargi, nos liens avec la diversité culturelle, en particulier la communauté haïtienne, se sont resserrés, notre engagement à l’égard de la littératie s’est affirmé à travers l’organisation d’une journée de réflexion qui aura lieu en septembre prochain et notre volonté de contribuer au questionnement que soulève une coalition de femmes artistes sur le sexisme systémique en culture s’est traduite par la création d’un comité paritaire hommes/femmes qui a commencé ses travaux en novembre dernier.
Un autre aspect important de notre vie associative a mobilisé nos énergies particulièrement cette année : les services aux membres en régions. Le problème de l’étendue du territoire à couvrir n’est pas nouveau et sera toujours difficile à résoudre, mais il nous semblait que le mode de fonctionnement du comité Trans-Québec n’était pas optimal et que nous pouvions faire mieux.
Mylène Bouchard, porte-parole des régions au conseil d’administration, y a réfléchi, en beaucoup discuté et a fini par proposer une approche différente qui redéfinissait les tâches des représentants, multipliait les antennes sur le territoire, mais surtout changeait la façon dont la direction, les administrateurs et les écrivains des régions se rencontraient. Au lieu de déplacer l’ensemble des représentants deux fois par année, une fois à Montréal et une autre fois en région, comme nous le faisions depuis longtemps, elle a suggéré qu’une ou deux personnes de la direction ou du c.a. se rendent en régions à l’occasion d’évènements littéraires importants, par exemple des festivals ou des salons du livre, et, sur place, discutent avec les écrivains, prennent rendez-vous avec les responsables locaux de la culture et visitent les bibliothèques ou d’autres lieux de diffusion. Nous avons tous trouvé cette approche plus dynamique et comme il coûte moins cher de déplacer deux personnes qu’une dizaine, nous pourrons effectuer plusieurs séjours chaque année dans des régions différentes.
J’en suis au dernier point que je voulais traiter : les finances de l’UNEQ. Vous savez sans doute que pour assurer nos services, nous devons piger un peu dans nos réserves chaque année, et cela, malgré les économies que nous avons réalisées. Les subventions des Conseils des arts n’augmentent pas, dans le cas du CALQ elle a même diminué, et nous avons perdu l’exemption de taxes municipales. Le nombre de membres a augmenté depuis quelques années, mais cela ne suffit pas. Et ni Ken Follet, ni J.K. Rowling ne nous ont fait parvenir de dons… Nous retournerons donc cette année devant la Commission municipale et plaiderons que les pourcentages de l’espace ouvert à tous et des activités du personnel destinées au grand public répondent aux conditions d’exemption.
Si nous échouons, il faudra cette fois nous poser de douloureuses questions par rapport à la Maison des écrivains. Mais nous n’en sommes pas encore là. Aujourd’hui, nous vous demandons d’accepter, pour la première fois en huit ans, une augmentation de votre cotisation de 10 $, ce qui est un montant inférieur à ce qu’il aurait été si nous avions appliqué l’IPC depuis 2008. De notre côté, nous continuerons à chercher d’autres sources de revenus, par exemple en partageant nos bureaux à la Maison des écrivains et en augmentant nos tarifs de location et de participation à nos ateliers pour les non-membres.
Voilà donc le portrait d’ensemble qui se dégageait des rapports de l’UNEQ de 2011 à 2016. Bien que, à cause du cadre politique et légal dans lequel nous vivons, il nous arrive, pour citer notre directeur général, qui lui citait quelqu’un d’autre, de ramer dans la gravelle, il n’en reste pas moins qu’il se fait un travail énorme à l’UNEQ, un travail qui doit être apprécié au moins par le milieu puisque nous avons été parmi les finalistes du Grand Prix du Conseil des arts de Montréal en 2014.
Avant de terminer, je voudrais revenir à ce que je vous disais un plus tôt, que l’UNEQ traînait des boulets, oui, mais pas seulement. Je crois vous avoir expliqué pourquoi, maintenant j’aimerais vous dire à cause de qui. En fait, ce qui est un nous, que vous m’avez entendu répéter et répéter tout au long de ce rapport, et ce nous a un nom, des noms qui ont beaucoup de résonance pour moi : Francis Farley Chevrier, directeur général, Jean-Sébastien Marsan, adjoint à la direction générale et directeur des communications, Sylvie Couture, directrice de l’administration, Marie-Andrée Boivin, chargée des communications, Denise Pelletier, responsable des programmes d’animation, Geneviève Lauzon, responsable des programmes de diffusion et de formation, Stéphanie Lemétais, agente d’information et Richard Fortier, soutien technique. Ont fait aussi partie de l’équipe du personnel, Élise Bergeron et Louiselle Lévesque avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler et qui nous ont quittés pour d’autres cieux. Au conseil d’administration, André Roy, vice-président, Suzanne Aubry, secrétaire-trésorière, Mylène Bouchard, responsable des régions, Élise Desaulniers, Sylvie Desrosiers et Mélissa Verreault, administratrices. C’est dans ce nous que bat le cœur de l’UNEQ. Toutes ces personnes ont contribué à ce que la présidence soit pour moi une expérience joyeuse, intéressante, stimulante, créative, le bonheur, quoi ! Je les remercie du fond du cœur et je cède maintenant les rênes de l’UNEQ, et les boulets, à ma successeure, à qui je souhaite une expérience aussi heureuse que la mienne.
Merci d’être là et merci de votre attention.