Entrevue avec Larry Tremblay, porte-parole de Livres comme l’air, édition 2015
Livres comme l’air en était à sa 16e saison en novembre dernier. Cet événement, qui fait connaître le sort d’écrivains, de blogueurs et de journalistes emprisonnés pour leurs écrits, vise à faire pression sur les gouvernements qui les oppriment. C’est le fruit d’un effort concerté d’Amnistie internationale, du Centre québécois du P.E.N. international et de l’UNEQ. Entretien avec le porte-parole 2015, Larry Tremblay.
UNEQ : Pourquoi avoir accepté de vous impliquer pour cette cause ?
Larry Tremblay : J’avais déjà, l’an dernier, parrainé Sardar Alibeyli, d’Azerbaïdjan, et je trouve important, comme écrivain, de contribuer à faire connaître ces situations d’oppression, pour qu’on trouve des solutions. C’est le côté positif des réseaux sociaux qu’il faut utiliser.
U. : Une telle cause a-t-elle une influence sur votre travail d’écrivain, sur les sujets que vous choisissez d’aborder ?
LT : J’étais déjà beaucoup dans ces thématiques : avec ma pièce Cantate de guerre et mon roman L’Orangeraie, j’abordais déjà les conflits ethniques et leur lot d’intolérance et de violence, tout comme les questions de liberté d’expression chez les simples citoyens. C’est la lecture de deux livres d’Anna Politkovskaïa, journaliste assassinée en Russie après avoir écrit sur le conflit en Tchétchénie et sur le président Vladimir Poutine, qui m’a inspiré Cantate de guerre.
Être porte-parole de Livres comme l’air m’a amené à préciser ma pensée sur ces questions. Même au Canada, le gouvernement Harper a installé un climat dans lequel beaucoup de gens n’étaient pas à l’aise de s’exprimer, alors qu’on est dans un pays démocratique. Ça commence par l’autocensure, c’est insidieux. Et les petites biographies de ces dix auteurs incarcérés que nous parrainions cette année nous font voir combien c’est un problème répandu sur la planète.
U. : Il y aura bientôt un an, le 9 janvier, Raïf Badawi recevait les 50 premiers coups de fouet d’une sentence de 1000 qui a été suspendue depuis. Il a également été condamné à 10 ans de prison et à payer une amende de près de 300 000 $ pour « insulte à l’islam » et « atteinte à la réputation » du Royaume d’Arabie saoudite. Devant un tel cas de répression, , que faire de plus ?
LT : C’est le sentiment d’impuissance qui m’a amené à écrire sur ces situations : il faut être conscient de ce qui se passe dans le monde. Je prononce fréquemment des conférences sur ces questions auprès des jeunes, dans les écoles secondaires et les CEGEP. Les discussions avec eux à partir de L’Orangeraie permettent d’amorcer la réflexion sur le fait que les choses ne sont pas tranchées. On peut se faire manipuler facilement. Il faut faire un pas vers l’autre, essayer de le comprendre.
S’il y a un grand mouvement d’accueil envers les réfugiés syriens, c’est qu’on s’est mis à leur place.
U. : On voit l’écrivain comme un être qui doit s’isoler pour créer, un tel événement est-il une fenêtre importante pour vous? Qu’est-ce que ça vous apporte?
LT : Ça permet à l’écrivain que je suis de m’engager plus. Comme j’ai une formation d’acteur et d’enseignant, c’est facile pour moi. Mais surtout, cela me permet de me sentir moins impuissant. C’est presqu’un cadeau de pouvoir contribuer de cette façon.
U. : L’implication citoyenne des artistes, pour vous, c’est incontournable?
LT. : On ne peut pas, dans le monde dans lequel on vit, faire de l’art pour l’art. Jeune, je lisais Jean-Paul Sartre pour lequel j’ai eu beaucoup d’admiration, malgré ses erreurs historiques. L’art est vivant et contaminé par ce qui se passe autour, tout est en interaction. Pour ma part, L’Orangeraie m’a amené à voyager. Une œuvre circule et se teinte de ce qui se passe autour.
La 16e édition de Livres comme l’Air a eu lieu le 20 novembre dernier lors du Salon du livre de Montréal. Plus de 7500 signatures ont été recueillies auprès des visiteurs, une forte augmentation par rapport à l’an dernier.
Le dramaturge, metteur en scène, écrivain et invité d’honneur du Salon, Larry Tremblay, y agissait à titre de porte-parole de cet événement. Depuis 15 ans, plus de la moitié des auteurs qui ont été jumelés à des écrivains québécois ont recouvré la liberté.